Citations sur L'oreille du libraire (13)
Je lui confie la librairie, pendant que je vais à la boulangerie. Quelques instants plus tard, elle dévore un sandwich, et la dernière bouchée avalée, elle reste longtemps, là, à dévorer cette fois-ci les livres qui se trouvent à sa portée.
Ses éditeurs la paient uniquement au pourcentage. Ce sont des livres de poésie. Donc elle a faim, naturellement.
- Le Socrate fou, c'est moi.
C'est Marcel.
Il adore venir parader à la librairie. Il ne parle que de lui. Il se dit fou. Et supérieurement intelligent. Il est professeur de mathématiques, à l'université.
- Vous, François, vous êtes intelligent. Mais par rapport à la mienne, votre intelligence ne dépasse pas la partie supérieure de la semelle de mes souliers.
Dès la naissance de la librairie, j'ai été immédiatement entouré de voix. Je me suis mis à les collectionner comme d'autres les cartes postales.
Un livre, c’est fait de quoi ?
De mots, de phrases.
Et puis de murmures.
D’autres mondes.
Et surtout de plaisir.
Le plaisir
J'ai l'impression que la partie centrale du labyrinthe est ma librairie. Je suis à la fois le Minotaure et Thésée. J'ai atteint le centre grâce au fil d'Ariane. C'est à la librairie que j'ai retrouvé ma liberté.
- Cela fait quelques temps que vous ne m'avez pas vu François, c'est que je n'étais pas bien. Une réelle dépression. J'ai été voir mon psychiatre. Il m'a dit que j'étais en train de perdre ma folie, c'est pour cela que j'étais déstabilisé. Il m'a donné des pilules pour la réactiver. Maintenant ça va mieux.
C'est peut-être l'absence que l'on cherche à combler dans la lecture. (p.32)
En ce début d'après-midi, il n'a a personne dans la librairie.
C'est comme si je n'étais pas ici.
Je ne sais plus, je suis peut-être là-bas, dans la maison de mon enfance. Un train, là-bas ; je veux dire le bruit d'un train que l'on entend derrière les collines. Je ne sais plus, il fait chaud, pas de vent, s'il y en avait il viendrait du sud-ouest. Le vent de la pluie ; c'est le coq sur la toiture qui le dit. Il n'y a pas de vent, le ciel est bleu. S'il y en avait, il viendrait du sud-ouest, et il pleuvait ; c'est le bruit du train qui le dit ; et on entend toujours le bruit du temps.
J'entends toujours le bruit de mon enfance, mais je n'ai aucune nostalgie.
Elle parlait douloureusement. "Il a creusé une plaie dans mon âme, le livraire."
- Une plaie ? Dans son âme ?
- Elle ne veut plus venir te voir, parce qu'elle dit que tu es le diable.
- Je suis le diable ?
- Elle t'a demandé un jour si tu étais prêtre, et alors tu aurais éclaté d'un rire satanique. Pour elle, c'est la preuve. Elle m'a dit qu'elle a pleuré et qu'elle a mis longtemps avant de pouvoir s'arrêter. Elle m'a dit "Comment faire, maintenant, pour supporter à la fois ma solitude et la peine que m'a faite le libraire ?
Dans le regard de ceux qui étaient là, j'ai lu que j'étais coupable.
Il me parlait souvent du douxième quatuor de Beethoven.
Il me le racontait, me le démontrait, l'analysait, le vivait. Avec sa bouche, il ébauchait une trille, enroulait autour de sa langue un thème, me lançait une phrase sereine de l'alto, la chanson joyeuse du premier violon, puis une transition piano du violoncelle.
C'était prodigieux.
Lorsque je le quittais, j'étais toujours très ému, je sentais que je vivais là des moments exceptionnels.
Je le pense toujours.
Il me semble que je n'aurais pas été complètement "fabriqué", si je n'avais pas rencontré mosnieur Malqueline, violoniste.