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Critique de Arimbo


Ce récit, à moitié fiction, à moitié autobiographie, est remonté dans ma liste de lecture suite à celle du formidable ouvrage d'Ivan Jablonka, « Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus ». A plusieurs reprises, Jablonka cite ce livre de Georges Perec, romancier qui me fascine et que j'aime, romancier si original, ingénieux, facétieux, et dont l'éblouissant « La vie, mode d'emploi » est pour moi un des sommets de la littérature.

Perec, né en 1936, dont le père, immigré juif polonais, pas assez bon pour être considéré intégrable à la France, fut considéré assez bon pour la défendre en 1940 (comme le grand-père d'Ivan Jablonka) et pour servir de chair à canons, et effectivement pour y mourir sur le champ de bataille de la pas si « drôle de guerre ». Perec, dont la mère, elle aussi immigrée et juive polonaise, fut déportée en 1943, pour y être assassinée comme des millions d'autres à Auschwitz.

La grande originalité de « W. ou le souvenir d'enfance » est, comme le titre le laisse présumer, de superposer deux récits, qui se suivent chapitre après chapitre, et apparemment sans relation l'un avec l'autre, mais qui se rejoignent de façon bouleversante à la fin.
J'ai lu que cela déconcerte certaines lectrices ou certains lecteurs,
mais aborder une oeuvre un peu complexe, un peu difficile (encore qu'ici on soit loin de la complexité de « La vie, mode d'emploi ») vaut très souvent la peine, cela nous enrichit de nouveaux regards, nous ouvre à de multiples réflexions.

Le récit W va lui même comporter deux parties séparées par un point de suspension, seul signe sur une pleine page. La première histoire qui n'aboutira pas à son terme, est celle de la recherche d'un enfant sourd-muet, qui ne serait pas mort alors que l'on a retrouvé les corps de ses parents morts lors d'un naufrage; cette recherche est demandée à un homme à qui on a donné le même nom qu'à l'enfant. J'ai perçu cette énigme comme la métaphore de l'histoire personnelle de l'auteur, et de cet enfant « sourd- muet » qu'il était devenu suite à la mort de ses parents.
Le second récit de fiction, admirablement mené, nous décrit une île nommée W, dont toute l'activité est tournée vers la compétition sportive. Progressivement, le lecteur va découvrir que cette île idéale est en réalité un enfer, fait de terribles vexations pour les vaincus des compétitions, où les athlètes sont maintenus dans un régime de malnutrition, où certaines compétitions ont pour unique objectif le viol des femmes, où un arbitraire cruel régit les règles, etc…, jusqu'à ce que le lecteur comprenne que l'île W est un monde concentrationnaire, et que l'auteur dans la partie autobiographique, nous en donne les éléments d'explication.

La partie autobiographique, débute de façon saisissante par le constat abrupt de l'absence de souvenirs d'enfance dont nous fait part l'auteur:
« Je n'ai pas de souvenir d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la soeur de mon père et son mari m'adoptèrent. Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré ….. "Je n'ai pas de souvenirs d'enfance": je posais cette affirmation avec assurance, avec presque une sorte de défi. L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé: une autre histoire, la Grande, L Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place: la guerre, les camps. »
Dans la suite du récit, Georges Perec nous raconte son enfance sous forme de souvenirs incertains, voire reconstruits, de l'oubli des souvenirs traumatisants, jusqu'à sa découverte du destin de son père, puis de la vérité des camps de concentration et d'extermination des juifs, et que, comme je le disais plus haut, l'autobiographie et la fiction se rejoignent.
Mais quelque temps auparavant, il y a un chapitre dans le récit autobiographique que j'ai trouvé extraordinaire, si émouvant, et qui donne, à mon sens, une des clés pour comprendre l'oeuvre de Georges Perec. Dans ce chapitre, il y explique, qu'enfant, on lui avait offert comme cadeau un dictionnaire, et que sa plongée dans le dictionnaire lui avait révélé la puissance des mots. Oui, des mots à mettre sur l'inexplicable, sur l'insensé, des mots pour apaiser les maux, des mots pour raconter «la vie, mode d'emploi», des mots arbitrairement rayés de la liste parce que pourvus d'une voyelle particulière, mais aussi tant de mots si vivants qu'ils joueront avec ce génial cruciverbiste. Magie des mots, magie de l'écriture pour être au monde, pour dire la beauté du monde, il faut bien cela pour compenser tous ceux qui servent au mensonge, à la propagande, aux discours de haine et d'exclusion.
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