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Critique de Ingannmic


La lecture "d'Ambiguïtés" a confirmé ce que m'avait permis de découvrir celle de "La mémoire est une chienne indocile" : Elliot Perlman est un as de la fresque, expert dans l'art d'allier sans heurt densité et structure, de construire à partir de multiples points de vue un ensemble cohérent.

Il utilise comme point de départ et comme fil rouge de son récit protéiforme un événement improbable : l'enlèvement par Simon Heywood, instituteur au chômage, du petit garçon de son ex-compagne Anna, avec laquelle il n'a plus de contacts depuis dix ans. L'enfant est rapidement rendu à ses parents sans avoir subi aucun dommage ni traumatisme. La dénonciation de Simon par sa petite amie du moment, qui exerce accessoirement le plus vieux métier du monde, enflamme les médias... mais là n'est pas l'important.

Des proches de Simon ou d'Anna s'expriment à tour de rôle suite à cet acte insensé. L'analyse, tantôt des motivations de Simon, tantôt des conséquences parfois inattendues de cet acte sur l'existence des divers protagonistes, dépasse le simple cadre de l'enlèvement, qui devient le prétexte à l'élaboration d'une intrigue où de nombreux destins se croisent, s'imbriquent, s'affrontent, les héros se débattant avec leurs manquements, leurs fêlures, leurs obsessions.

La principale obsession de Simon, c'est Anna, dont il ne s'est jamais vraiment remis du brusque départ. Persuadé que la jeune femme s'est fourvoyée en le quittant pour épouser Joe, un golden boy focalisé sur sa réussite sociale, il compte sur sa -brutale- réapparition dans sa vie pour provoquer une prise de conscience...
Mais Simon est aussi hanté par l'amertume et la déception que provoque en lui la mercantilisation croissante de la société, la poursuite effrénée du profit aux dépens des valeurs humaines d'empathie, de solidarité. Ses semblables, emportés, aveuglés par les prérogatives de cet environnement matérialiste et compétitif, ont à ses yeux perdu leur capacité à s'impliquer humainement, faisant preuve vis-à-vis des autres et de leur éventuelle détresse d'une apathie et d'une indifférence qui le révoltent. Sincère et intransigeant, mais aussi lucide et réfléchi, Simon refuse de s'adapter à la dynamique d'un monde où prévaut la quête du profit et de la possession.

Pour autant, le roman d'Elliot Perlman n'oppose pas les méchants capitalistes représentés par Joe et ses confrères aux gentils rêveurs humanistes dont Simon serait le représentant.

C'est un roman sur la difficulté de l'être à accéder à la plénitude, à se réaliser en accord avec ce qu'il est profondément.

C'est un roman sur l'émouvante complexité des individus, sur les fissures qu'ils abritent, et qui finissent parfois par se transformer en béances, sur les mensonges que l'on sert aux autres comme à soi-même, mais dont personne n'est vraiment dupe, sur les compromissions censées préserver l'apparent bonheur confortable dans lequel on s'est installé en jetant derrière soi ses aspirations et ses principes.

C'est aussi un roman sur le fourvoiement, qui conduit au délitement des relations insincères que l'on entretient avec l'autre, sur l'incompréhension mutuelle, et la propension de l'individu à imaginer les désirs de l'autre selon les siens propres.

C'est, enfin, un roman sur l'héritage que laissent les parents à leurs enfants, non pas l'héritage matériel, mais cette transmission, souvent inconsciente, d'angoisses et de rejets, de souffrances et de faux-semblants, et sur la façon dont on se construit, avec, ou envers, cet héritage.

"Ambiguïtés" est un roman à la fois très intelligent et profondément humain. Elliot Perlman, en portraitiste sensible mais clairvoyant, manie la dérision et le sens du détail avec une justesse qui exhausse le caractère pitoyable et poignant des individus.

A lire, impérativement.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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