Les hommes n'avaient pas compris qu'une ère nouvelle commençait, où la prudence, à défaut de bonté, deviendrait une vertu essentielle.
Personne, parmi l’élite, ne réclamait encore, pour ces régions, l’autonomie complète. Un pouvoir central, dont le rôle demeurerait de coordination, semblait toujours nécessaire ; nécessaire aussi le maintien de certains services mondiaux essentiels : production et distribution de l’énergie, cinétéléphone, transports généraux. Il était même utile de conserver un comité central de la météorologie et, sous certaines conditions, une police internationale.
Mais, dans ce large cadre d’organisation universelle, chaque patrie pouvait choisir son gouvernement, réglementer la production, les échanges, l’enseignement, l’hygiène, les mœurs, les fêtes, vivre enfin d’une vie singulière.
Les heures frénétiques approchaient où toute civilisation devait sombrer et où serait mise en question l'existence même du grand primate astucieux et dominateur, puissant, pendant des millénaires, par son lourd cerveau inquiet où le rêve de la vie s'agençait en systèmes indéfiniment perfectibles.
Le savant, dont la passion de recherches avait empli la vie, en venait presque à maudire la curiosité humaine. Un soir, comme il parlait aux parallèles d’Asie, il finit par s’écrier :
– Je vous dis qu’il faut avant tout organiser et surveiller le travail scientifique !… Je vous en adjure : surveillez la science ou tuez-la !… Il n’est pas de tâche plus urgente ! Il n’est pas d’autre moyen de salut !
Il semblait vain de compter sur un arrêt du progrès scientifique ; la curiosité n’abdiquerait jamais au seuil de l’inconnu.
Il savait combien était chimérique l’espérance que l’on mettait en lui. La science ne pouvait plus sauver la civilisation
Plus simplement, dit-il, je vais mentir.... Essayons de créer la paix en l'annonçant : il y a là peut-être, une très faible chance de salut... (p.186)
Il ne semblait pas que l'on pût attribuer au désir de vengeance ou à la vanité guerrière, ou même à la passion politique, les offensives insensées qui se succédaient sans répit et dans toutes les directions, du fait de physiciens isolés ou de fonctionnaires subalternes des laboratoires. C'étaient, bien plutôt, des gestes de panique, les réflexes violents d'hommes forts qui, menacés d'étouffement au milieu d'une foule, dans un lieu sans issues, se ruent, piétinent les faibles pour la satisfaction dérisoire de mourir les derniers. (p.172)
Je vous le dis : je ne sais pas ce que j'ai fait pour mériter votre amitié... Il n'est pas certain que mon oeuvre soit bonne. A cette heure, en vérité, je n'en suis pas sûr... L'arbre que j'ai planté, je me demande quels fruits il portera... Et je suis inquiet !... Vous qui vivrez sur la terre après moi, soyez prudents !... Ne cueillez pas sans précautions les fruits dangereux.... Soyez heureux avec prudence ! soyez savants avec prudence ! Soyez justes avec prudence !... Contre le mal, luttez avec prudence ! (p.49)
La science, qui armait si terriblement les hommes pour le mal, les armait aussi pour le bien. (p.20)