J'ai dit à Martine que je la quittais pour une autre femme, j'ai menti. A vous, Irène, je peux dire la vérité, j'ai quitté Martine à cause de Martine. Les autres, ceux pour qui on quitte quelqu'un, ce sont des prétextes, des alibis. On quitte les gens à cause des gens, faut pas chercher plus loin.
Je crois que j'ai toujours eu ce réflexe, celui de ne pas déranger.
Demain, il y a un enterrement à 16 heures. Un nouveau résident pour mon cimetière. Un homme de cinquante cinq ans, mort d'avor trop fumé. Enfin ça, c'est ce qu'ont dit les médecins. ls ne disent jamais qu'un homme de cinquante cinq ans peut mourir de n'avoir pas été aimé, de ne pas avoir été entendu, d'avoir reçu trop de factures, d'avoir contracté trop de crédits à la consommation, d'avoir vu ses enfants grandir et puis partir, sans vraiment dire au revoir. Une vie de reproches, une vie de grimaces. Alors sa petite clope et son petit canon pour noyer la boule au ventre, il les aimait bien.
On ne dit jamais qu'on peut mourir d'en avoir eu trop souvent marre.
(p. 46)
Je parle toute seule. Je parle aux morts, aux chats, aux lézards, aux fleurs, à Dieu ( pas toujours gentiment). Je me parle. Je m'interroge. Je m'interpelle. Je me donne du courage. (...)
A Brancion-en-Chalon, il y a des gens qui ne m'aiment pas, se méfient ou qui ont peur de moi. Peut-être parce que je semble porter le deuil en permanence. S'ils savaient qu'en dessous il y a l'été, ils me feraient peut-être brûler sur un bûcher. Tous les métiers qui touchent à la mort ont l'air suspects. (p. 84)
- Venez vivre avec moi.
- Je suis mariée et j'ai un fils.
...
- Je ne veux pas aller à l'enterrement de mon mari. Vous avez abandonné votre femme et elle en est morte.
- Vous devenez désagréable.
....
- Non, réaliste. On n'abandonne pas les gens comme ça. Si c'est facile pour vous de tout plaquer et reconstruire ailleurs, sans se soucier des autres, de leur chagrin, eh bien...tant mieux
Vous savez, il y a plusieurs vies dans une vie.
Dans le temps qui lie ciel et terre se cache le plus beau des mystères.
[ Françoise Hardy ]
Dans le roman de la veille, elle avait lu qu'un fil invisible relie ceux qui sont destinés à se rencontrer, que ce fil peut s'emmêler, mais jamais se briser.
Ma grand-mère m'a appris très tôt comment cueillir les étoiles : la nuit il suffit de poser une bassine d'eau au milieu de la cour pour les avoir à ses pieds.
Je m’appelle Violette Toussaint. J’ai été garde-barrière, maintenant je suis garde-cimetière. Je déguste la vie, je la bois à petites gorgées comme du thé au jasmin mélangé à du miel. Et quand arrive le soir, que les grilles de mon cimetière sont fermées et la clé accrochée à ma porte de salle de bain, je suis au paradis.
[Chapitre 2]