Citations sur Le temps des féminismes (69)
La prise de conscience de la réalité de la domination, qui survient dans les années 1990, permet de mieux mesurer les rapports de faiblesse et d'assujettissement dans une relation, qu'il s'agisse d'une relation homme-femme ou d'une relation adulte-enfant. La question de la domination de I'enfant, qui nous hante aujourd'hui, nous n'en avions pas une conscience aussi vive dans les années 1990-2000. Nous faisions toujours la distinction entre le privé et le public et je me souviens d'avoir pensé, à propos de faits aujourd'hui considérés comme scandaleux, "ce n'est pas grave"... Le privé était du domaine de la liberté, il ne regardait personne.
Le regard féministe est une remise en cause des évidences, des héritages, de cette histoire qu'on a reçue sans réfléchir. La sociologue québécoise Marie-Eve Surprenant affirme qu'à partir du moment où l'on porte un regard féministe sur le monde, il n'y a plus de repos.. C'est compliqué, et au quotidien on n'a pas toujours envie de conflit, il y a un juste milieu à trouver pour ne pas s'ériger en censeur permanent.
La langue est un pouvoir, elle résiste beaucoup. À travers l'Académie française qui venait d'être créée, le xvu siècle absolutiste a mis de l'ordre dans la langue, ce qui voulait dire éliminer le féminin. Le mot autrice, qui existait, a été supprimé, de même que la plupart des noms en -esse, jongleresse par exemple. L'Académie institue alors que le masculin l'emporte toujours sur le féminin, une règle que les petites filles d'aujourd'hui apprennent avec de plus en plus d'étonnement...
Le consentement a tissé les sociétés contemporaines. Pendant des siècles et des siècles, les femmes ont accepté leur condition, ce qui ne signifie en rien quelles y aient nécessairement consenti. Le consentement leur était imposé par ce système de domination qu'on disait dans l'ordre des choses, des corps, du monde. Cela dit, beaucoup de femmes y ont sans doute trouvé aussi des avantages. Dans ce système, les hommes protégeaient, faisaient la guerre, chassaient, travaillaient, rapportaient de l'argent à la maison... Elles avaient la était gestion de l'intérieur et peut-être les clefs du bonheur. En définitive, de nombreuses femmes acceptaient ce partage des tâches, peut-être même la majorité d'entre elles.
La domination masculine a été entérinée par les religions (il n'existe pas de religion où le principe masculin ne soit pas dominant), et par les systèmes philosophiques (la pensée grecque, notamment, Platon, et surtout Aris- tote). Les religions ont été des formes de domination des femmes, solides, organisées, argumentées, particuliè rement subtiles parce qu'elles s'appuient sur le consentement de femmes valorisées dans leur féminité même. Etre « enfants de Marie » était une gloire. C'est pour- quoi se libérer des religions fait partie de la lutte fémi- niste. La laicité est une revendication du féminisme, du moins en France. Même si certaines sont venues au féminisme par par la religion, et entendent conserver leurs croyances religieuses.
On commençait à s'interroger sur les silences de I'histoire et l'on se demandait pourquoi ils avaient concerné avant tout les femmes. A travers ses travaux, Michelle Perrot nous rappelait que les femmes ont toujours été présentes dans l'histoire, et que le mot histoire revêt deux sens : ce qui s'est passé et le récit que l'on fait de ce qui s'est passé. De ce récit, les femmes étaient souvent absentes. Il fallait donc combler ces lacunes et faire émerger une autre manière de faire de I'histoire, un autre récit incluant des femmes actrices du devenir commun de la société. Les femmes ont toujours existé, elles ont toujours été présentes partout, mais on avait omis de signaler l'importance de leurs contributions et de leur participation aux progrès et au devenir de l'humanité.
Universel dans sa foisonnante diversité, le féminisme est une manière de révolution dans les rapports entre les sexes, un chemin sinueux, ombreux, obstiné, vers l'égalité, la liberté et l'amour.
La laïcité est un concept et un système qui implique la tolérance.
Aujourd'hui, on abat des monuments, des statues.
Laure Murat souligne à juste titre qu'il y a des précé. dents. L'iconoclasme, ou destruction des images, existe depuis l'Antiquité. L'histoire a connu des mouvements violents de destruction des images, souvent religieuses.
Dans certaines villes comme Nantes, ou en Angleterre, on s'aperçoit que telle statue représente un grand négo-ciant, trafiquant d'esclaves. Sachant ce que l'esclavage a pu représenter, beaucoup souhaitent déboulonner cette statue et c'est normal. En revanche, en tant qu'histo-rienne, je pense qu'il est important de ne pas oublier cet homme et son nom : fût-ce négativement, il a été un acteur de l'histoire. Il faut sans doute approfondir le rôle qu'il a joué et le sens qu'il a pu y avoir jadis à lui ériger une statue. Historiciser, c'est faire une analyse critique des choses. Or, si l'on efface, on ne voit plus les nœuds des problèmes et on ne peut plus les critiquer.
Lorsqu'on reproche à Edgar Morin de ne pas avoir une pensée assez structurée, il répond qu'il faut se méfier des pensées structurées parce qu'elles donnent de fausses réponses à de vrais problèmes.