Ne se croyant vue de personne, elle tient une joue inclinée contre sa main ouverte. Ses paupières sont closes, sans crispation, son visage apaisé, plongé dans une quiétude un peu songeuse. Il aurait pu se faire que personne ne la voie dans le wagon du métro mais je la regarde, sans tenter d'imaginer à quoi songe cette jeune fille dont j'ignore tout. J'ai surpris cet instant où elle s'est retirée en elle-même. Peut-être est-ce cela qui me retient, le retrait à quoi un visage s'abandonne, qu'elle s'autorise malgré la foule, dans un léger écart. Elle s'en remet à son repli avec une certaine grâce, comme si cela allait de soi qu'elle ne soit pas vraiment là, qu'elle soit là sans y être.
Comment dire à son père ce qu’elle voulait tant lui confier ? C’est seulement sur la fin d’une promenade en forêt, il y a quelques années, à deux doigts d’y renoncer, que Marie osa lui faire un aveu. Une décision, espérait-elle, allait changer sa vie. Sans doute en raison de l’émotion qu’ils avaient ressentie l’un et l’autre, ils n’entendirent pas arriver la voiture qui soudain heurta son père avec une violence telle qu’il fut projeté en l’air, avant de retomber mort sur la chaussée. Sous le choc, plutôt que de se laisser prendre en charge par les secours, la jeune femme continua à marcher.
Il fait froid ce soir-là, la nuit qui tombe est assombrie par les épais nuages accumulés au-desus des toits. On dirait qu'il va pleuvoir, on s'attend à une pluie froide, à plus d'obscurité. De toute la journée je n'ai rien pu dire ou presque, prisonnier du mutisme où malgré moi je me tiens encore parfois, dans un malaise trop insistant pour que parler soit possible. Au carrefour de la rue Rambuteau et de la rue Saint-Denis, un jeune homme s'essaie à faire tourner un bon et fin bâton enflammé aux deux extrémités. Il va de plus en plus vite malgré sa maladresse. Son mouvement est fragile, qui peu à peu s'affirme. Ce feu pourrait donner sens à mon trouble, c'est à peine une intuition, je ne saurais en dire plus, mais cela ne brûle pas pour rien, ma tristesse pour un peu en serait éclairée. Que tourbillonne un mince flamboiement dans la nuit n'est pas insignifiante, le pressentiment m'en vient, sans pour autant rien pouvoir en dire à mon fils et à sa mère, le temps qu'il nous faut pour traverser le Mais, et arriver jusqu'à chez nous, derrière le Cirque d'hiver.
Cela, pendant qu'elle me parle, fait écho à ce que Louisa vient de me raconter de la rencontre de son père avec la jeune femme qui allait devenir sa mère. Ayant par le plus troublant des hasards reconnu dans la rue celle dont, quelques années plus tôt, un ami lui avait montré la photographie en lui annonçant ses fiançailles avec elle, il l'avait abordée sous le prétexte de cette coïncidence. Son émotion était sincère, et il trouva les mots pour la convaincre de ne pas injurier la chance qui avait fait se croiser leurs chemins.