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Critique de Patlancien


En septembre 1962, je me retrouve à l'entrée du pensionnat avec mon petit cartable dans une main et la main de ma maman dans l'autre. Je rentre dans une vieille bâtisse où le temps semble s'être arrêté. J'ai 6 ans et je me demande ce que je fais là. En juin 1974, je ressors du même établissement avec le Bac en poche pour bondir dans le monde extérieur. Mariam Petrosyan aura mis 10 ans pour écrire «La Maison dans laquelle». C'est le seul roman de cette auteure russe. Selon ses propres dires, elle ne l'a pas écrit ; elle y a vécu et j'y ai vécu moi aussi…Entre la critique de mon amie Chrystèle et celle de mon copain Berni, je me devais de faire une place pour un livre que j'ai mis deux mois à lire sur cet épisode de pension qui a tenu 12 ans de ma vie.

C'est un livre de 1000 pages pour des lecteurs avertis. le nombre de personnages, de lieux, de temps vous entraînent dans un maelström d'histoires et d'aventures. Dans cette maison, on apprend à jouer aux échecs, à dessiner et à écrire sur les murs (moi j'y ai appris à graver sur les pupitres en bois de nos bureaux d'écoliers), à faire des amulettes et des gris-gris, à tricoter, à écouter du Led Zeppelin (Eh oui mon Paulo), à tomber amoureux, à se battre et aussi à soigner. Les chapitres s'entrechoquent en représentant soit le point de vue d'un personnage ou une année écoulée. On passe ainsi du « je » au « il »sans aucune transition, du passé au présent, du jour à la nuit, de l'été à l'hiver. Mais c'est surtout grâce à l'écriture juste et vraie de Mariam Petrosyan que l'on peut évoluer à l'intérieur du livre sans s'épuiser ou pire se perdre.

« Les murs étaient leurs journaux à eux, leurs magazines, leurs panneaux de signalisation, leur téléphone, leur musée. le principe était simple : on y notait ce qu'on avait à dire, après quoi il ne restait qu'à attendre. Ce qui en découlait ne dépendait plus de l'auteur. Un surnom pouvait aussi bien être oublié et recouvert d'un autre gribouillis, qu'adopté et employé sur le champ. »

Le roman raconte l'histoire de ces jeunes enfants qui rentrent dans un pensionnat. Ils sont handicapés, manchots, aveugles ou en fauteuil. On les suit de la rentrée dans l'établissement jusqu'à leur dernière année. Dans la Maison, des clans se forment : les rats, les oiseaux, les chiens, chacun avec leur propre chef et leurs propres règles. Dans ce milieu clos, on y fantasme sur l'extérieur. La solitude de chacun permet à tous d'imaginer un univers fantastique qui se mêle au train-train quotidien. Dans cette maison, il y a des nuits très longues ou l'on se raconte des histoires à faire peur (Mes amies Nicola et Sandrine vont comprendre le plaisir que j'ai eu à perpétuer cette tradition). Les enfants grandissent et deviennent des ados avec leurs premières cigarettes, leurs premières gouttes d'alcool et leurs premiers émois amoureux. Un même établissement où l'on reste entre copains de l'école primaire, au collège et enfin au lycée.

« Salut à vous les avortons, les prématurés et les attardés. Salut, les laissés-pour-compte, les cabossés et ceux qui n'ont pas réussi à s'envoler ! Salut à vous, enfants-chiendent ! »

Et les personnages me direz-vous ? J'y arrive. Il faut faire un effort pour retenir et suivre la centaine de pensionnaires qui habitent cette maison. Mais il y a aussi les directeurs, les éducateurs sans oublier les enseignants et le personnel soignant, les parents, et même certains animaux de compagnie. Il n'est pas facile de comprendre qui est qui dans un premier temps. Heureusement l'histoire tourne autour d'un noyau dur d'élèves qui vont vous permettre de vous accrocher et de rester dans la lecture (et dans la maison par la même occasion). Chez ces pensionnaires il y a l'Aveugle, chef incontesté et incontestable de la Maison et ami d'enfance de Sphinx. A eux d'eux ils vont être les piliers du roman. Viennent ensuite les Chenu, Fumeur, Roux, Vautour, Chacal (mon préféré), Noiraud, Lord, Larry, le Macédonien et Loup. Grace à Mariam Petrosyan, ils deviennent tous réels et attachants. On finit par habiter et vivre avec eux. Les adultes ne sont pas oubliés. Il y a Requin le directeur, Elan et Ralf les éducateurs. Les rivalités entre petits et des grands sont bien présentes avec la complexité du passage au monde des ados qui les accompagne. Les relations avec les adultes ne sont pas oubliées mais c'est la sortie vers le monde extérieur qui est traitée de façon magistrale.

« le monde de l'adolescence est moins agréable que celui de l'enfance, mais beaucoup plus intense et plus riche en émotions et en sentiments que celui des adultes. le monde des adultes est ennuyeux. Les adolescents ont hâte de grandir, parce qu'ils croient que l'indépendance va leur apporter la liberté. Alors qu'en réalité, ils vont se retrouver dans une espèce de prison à vie, faite d'obligations et d'interdictions dont ils ne pourront sortir que lorsqu'ils auront atteint la vieillesse – pour les plus chanceux. »

Et la Maison me direz-vous…Je m'y perds mes amis. Il existe un lien magique entre celle-ci et ses occupants. Elle est enfermée sur elle-même, ses fenêtres sont noircies à la peinture car… elles ne doivent pas donner sur l'extérieur! Elle est immense pour les yeux des petits mais aussi dans l'imaginaire des grands. Elle est composée d'une multitude de dortoirs et de chambres. Il y a un réfectoire et aussi une cafétéria (la cafetière). L'infirmerie (le Sépulcre) y est aussi présente comme le mystérieux croisement situé au coeur de la maison. On y trouve aussi accessoirement les salles de classes. le bureau de directeur est de la partie sans oublier la fameuse cour de récréation. Et enfin, il y a la Forêt, celle qui n'apparait que certaine nuit et pour les avertis. Reste l'extérieur que l'on doit éviter sous peine d'attraper la «maladie des égarés».

« Car la Maison exige une forme d'attachement mêlé d'inquiétude. du mystère. du respect et de la vénération. Elle accueille ou elle rejette, gratifie ou dépouille, inspire aussi bien des contes que des cauchemars, tue fait vieillir, donne des ailes… C'est une divinité puissante et capricieuse, et s'il y a bien une chose qu'elle n'aime pas, c'est qu'on cherche à la simplifier avec des mots. Ce genre de comportement se paie toujours. »

Un roman envoutant et marginal, difficile et exigeant pour tout lecteur. Dans un monde magique où les situations sont incroyablement proches de notre réalité. Elles représentent une expérience que nous avons tous vécue car elle marque le passage de notre enfance à l'âge adulte. Une écriture exceptionnelle qui enrichit et sublime cette métamorphose. Je me suis perdu dans cette maison plus d'une fois comme tous les protagonistes. J'ai erré dans les couloirs avec Sphinx et Lord. J'ai humé l'odeur de la Foret avec Aveugle. Je me suis frotté comme eux à cette « Nouvelle Loi » qui autorise la mixité entre les filles et les garçons. Permettant aux Rousse, Sirène, Rate, Aiguille Chimère, Gaby de rentrer dans la danse et bouleverser le monde des garçons pour le meilleur et pour le pire. Bravo Madame pour votre beau roman qui ma permit de revivre ces belles pages de mon adolescence. Et encore merci à Dori, Sandrine, Diana, Onee pour cette belle découverte commune.

« Tous les types de démences réunis en un seul et même Nid. Les spécialistes n'avaient qu'à se munir de leurs encyclopédies pour s'amuser à les pointer un par un. Des psychopathes, ici, il y en avait pour tous les goûts »
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