Si souffrir est la preuve qu'on est en vie, alors je ne l'ai jamais autant été.
J'étais amoureuse de cet homme. C'est cet homme-là que j'aimais. L'homme gentil aux mains adroites de guérisseur - était comme la brume de chaleur sur cette route perdue. Une illusion créée par les conditions idéales. Un rêve miroitant qui ne semblait tangible que de loin. Qui n'avait rien de réel.
Une femme sait quand elle est traquée, après tout… surtout si elle l’a déjà été.
Pourquoi ?
Un rire rauque m’échappe, comme un aboiement. Je ne peux même pas compter le nombre de fois où j’ai entendu ce mot, ou le sentiment qu’il recouvre, dans la salle d’attente où les proches de patients font les cent pas, se tordent les mains et murmurent une prière couverte par les infos télévisées. Seigneur, comme je hais cette pièce. Elle me rappelle le mobile-home bancal de ma mère ; l’un comme l’autre insonorisés par le chagrin, isolés par les larmes, peints du spectre de pâles regrets : Pourquoi elle ? Pourquoi lui ? Pourquoi moi ?
Pourquoi ?
Je ne suis pas du genre à me faire du mal. J’ai toujours eu plein d’autres personnes pour le faire à ma place.
Personne n’existe en vase clos. Tout le monde a au moins un lien vital avec la planète, que ce soit par le sang ou par l’amour. Lui, c’est par le sang. Par chaque personne qu’il tue.
"Elle m'a dit que tu m'avais traité d'animal. Je trouve ça offensant."
Je regarde le lit qui ploie sous le poids de litres de sang.
"Les animaux ne sont pas capables de s'adapter mentalement, Kristine, continue-t-il comme s'il savait ce que je suis en train de penser. Ce sont des êtres d'habitudes et d'instincts. Ils ne se préoccupent que de survivre, et pas d'évoluer. La plupart n'existent que pour satisfaire les envies prédatrices de créatures plus puissantes et plus nobles."
- Comme vous, vous voulez dire."
Cela le fait rire.
"Avoue. Je suis un prédateur sacrément flexible."
je transpire, je tremble, et ma main glisse trois fois sur le contact. A chaque échec, je m'attends à ce qu'un autre hurlement torturé mais étouffé me parvienne dans la voiture ; mais, enfin, de l'air frais jaillit par les aérateurs, et les accords obsédants d'un jazz des années vingt fusent à plein volume dans les enceintes. La musique préférée de Daniel. Il écoutait ça en m'attendant. Je baisse presque complètement le volume, passe la marche arrière et appuie sur l'accélérateur.
Le besoin d'entendre la voix d'Abby est comme un bout de métal dans ma gorge, une douleur vive et persistante. C'est comme un picotement dans mes paumes, la démangeaison de scarabées sous ma peau. J'ai une sensation de creux, de vide dans l'utérus, bien que cela fasse dix longues années que mon bébé l'a quitté. Avoir un enfant, c'est comme doter son cœur d'une paire de jambes, et le laisser se promener hors de son corps, palpitant, vulnérable, à vif.