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Critique de berni_29


Je voudrais vous partager un coup de coeur, je ne sais plus par quel enchantement ce livre est arrivé dans mes mains.
Même les pêcheurs ont le mal de mer, le titre est déjà beau comme une invitation, comme un chagrin posé sur le sable.
Je me suis alors rappelé que j'étais entré dans l'univers de son auteure, Diane Peylin, il y a un peu plus d'un an, en lisant son cinquième roman, La grande roue, qui m'avait beaucoup touché, sur le thème de la maltraitance conjugale...
Ici c'est un roman familial. Un récit choral, trois personnages masculins s'invitent, font entendre leurs voix, le grand-père Rafa, le père Valente et le fils Salvi.
Décidément, le couple, la famille, ce sont souvent de magnifiques territoires d'inspiration.
C'est un retour sur l'île, un retour vers l'enfance, à cause d'un événement.
Un bateau à quai, ce n'est rien d'autre qu'un bateau qui part ou qui arrive.
On ne saura pas le nom de cette île, on devine simplement ses rivages méditerranéens.
Chez les Orozco, on est pêcheur de père en fils depuis trois générations. Mais voilà Salvi le fils en a décidé autrement. La mer, pêcher, ça ne l'intéresse pas. Il a quitté l'île voilà quelques années. Il travaille sur le continent, dans l'informatique ; le soir, il mène une vie d'artiste. Il monte sur scène, revêt un nez rouge, il est un autre, totalement autre. Ou peut-être simplement plus vrai que celui qu'il tente de taire au fond de lui, au quotidien. Celui qu'il pense avoir laissé sur cette île là-bas il y a quelques années...
C'est aussi une famille où les pêcheurs ont le mal de mer, où les femmes ne dépassent pas la quarantaine, comme si c'était une fatalité, une malédiction presque...
J'aime ici ces personnages qui tanguent, ce n'est peut-être pas toujours à cause du mal de mer, il y a aussi le mal de vie, plus terrible, un coeur estropié qui tangue et voit le paysage chavirer autour de lui, les autres, les siens... Mais quand le paysage chavire, est-ce vraiment le paysage ? N'est-ce pas plutôt autre chose ?
Ici, les hommes de cette famille ne sourient pas, se taisent presque à jamais.
Ils se font mal à eux-mêmes, sans s'en rendre compte, et aux femmes de leurs vies aussi.
C'est une vie où les mensonges finissent par prendre beaucoup de place.
D'où vient cette destinée qui pèse sur le sang de cette lignée ?
Certes, il y a l'honneur d'une famille, mais cela ne suffit pas à expliquer, justifier l'absence de tendresse.
Ces hommes finissent par tenter de poser des mots sur leur silence et c'est l'une des originalités de ce livre. Ce sont des hommes un peu en déshérence qui s'interdisent toute émotion et transmettent cela, c'est cela le pire, ces non-dits, cette retenue, mais ils deviennent alors des enfants couverts de cicatrices lorsqu'ils se confient au lecteur, regrettant de ne pas avoir été serré au moins une fois dans les bras d'un père...
D'où vient alors cet étrange besoin de consolation ?
Ce sont des hommes qui font semblant de vivre.
Dans une écriture poétique, Diane Peylin dit avec beaucoup de sensibilité et de justesse l'invisible qui se terre dans les zones sombres de nos abîmes.
J'ai aimé la détresse de ce père qui écoute en boucle la chanson de Procol Harum, a whiter shade of pale, les bras tendus comme un oiseau, tournoyant sur lui-même au milieu de la musique, son fils l'observant, ahuri, au travers du rai de la porte.
À lire ce livre, on ne ressort pas forcément indemne, on prend des coups au coeur, au ventre, là où ça faisait déjà mal sournoisement, une douleur qu'on croyait éteinte depuis longtemps...
Les secrets de famille sont verrouillés comme des tombes, jusqu'au jour où ils se fissurent. Il y a toujours un moment où une brèche s'ouvre, alors ce sont des torrents d'effroi et de désolation qui jaillissent.
J'ai aimé Rafa, le grand-père, taiseux et lunatique jusqu'à la mystification...
J'ai été touché par la tante Ana Luisa, qui, elle, ne quitte pas l'île, mais c'est un peu pareil, basculant tout doucement dans une folie teintée d'ivresse sexuelle...
J'ai aimé venir à la rencontre des personnages de ce livre, effleurant leurs aspérités qui sont autant d'interstices laissant passer une lumière qu'on croyait absente, laissant venir ces voix qu'on croyait inutiles.
N'avez-vous jamais senti parfois à certaines lectures le sol se dérober sous vos pieds ? Au début, cela ressemble à des sables mouvants et brusquement au détour d'une page, le sol devient une trappe et nous glissons presque au bord d'un précipice. C'est l'effet que ce roman poignant m'a procuré...
J'ai aimé ces larmes qui se promènent parfois entre les pages et qui font taire le bruit du vent.
Ce sont des pages mouillées, emplies de chagrins d'amour...
Ce roman m'a touché. Ce n'est pas une lecture anodine, elle est capable de réveiller des choses souterraines qui pouvaient sommeiller jusqu'à présent sans faire de bruit, je n'ose pas dire : sans faire de vague...
Difficile alors de retenir ses larmes sur les dernières pages où se dénoue l'ultime secret. D'ailleurs, pourquoi les retenir ? Les digues sont faites pour s'éventrer sous les assauts de la mer...
« We skipped the light fandango
Turned cartwheels 'cross the floor
I was feeling kind of seasick
But the crowd called out for more
The room was humming harder
As the ceiling flew away
When we called out for another drink
The waiter brought a tray »
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