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Citations sur Inconstance des souvenirs tropicaux (13)

Pour les enfants, la magie c’est facile, ça tient de l’évidence. C’est bien simple, il y en a dans tous les coins, il suffit de se baisser pour en ramasser de pleines poignées. Ils savent donner à leur univers des contours improbables qui, peu à peu, au fil des ans, deviendront plus nets, voire plus tranchants, plantés au carré quand ils avaient pu, durant des années, se modeler au gré d’une fantaisie inépuisable.
Avec une copine du quartier, nous avions inventé un jeu qui nous a occupées des après-midi entières, durant des semaines. Nous partions dans la rue, munies d’une balle de tennis – une balle, deux gamines – et, une fois choisi l’endroit approprié – un bout de trottoir, le fond d’une impasse… – nous la lancions, prudemment, avec une gravité d’officiantes. L’objet roulait, trajectoire jaune vif que nous suivions avec une concentration absolue : doté de pouvoirs prodigieux, il avançait, mû par une force inconnue, et nous indiquait, quoi exactement ? Je ne sais plus trop, mais nous n’en perdions pas une miette, il nous fallait le suivre scrupuleusement, étudier de près l’endroit où il s’arrêtait, y scruter les gravillons, les insectes ou les plantes, informations précieuses sur lesquelles nous nous arrêtions longuement, l’important étant comme dans toute quête ou enquête, n’est-ce-pas, de ne rien négliger. Avant de relancer la balle, avec précaution, pour recommencer, un peu plus loin, à chercher des indices, du sens, de précieuses révélations. Que lisions-nous exactement dans ces minuscules trajectoires, dans ces détails dérisoires ? Des réponses, nous voulions décrypter des petits bouts d’univers, le médium étant une balle de tennis jaune fluo. Qu’un tel jeu ait pu nous occuper si longtemps est un mystère pour l’adulte que je suis devenue, mais le fait est que nous avons consacré énormément d’heures à sillonner ainsi les rues du quartier, interprètes zélées des mystères d’un monde où nous avions perçu des dessous inaccessibles, alors il fallait bien inventer des voies d’accès, des ouvertures à notre portée, et les balles de tennis ne sont pas seulement bonnes à rebondir d’une raquette à une autre. La preuve.
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.. on emmagasine des émotions, des odeurs, des images et, des années, des décennies plus tard, elles resurgissent, sans prévenir, parce qu'une connexion quelque part s'est faite, qu'on ne soupçonnait pas.
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Décidément, les animaux avaient bon dos au Costa Rica.
Les hommes réglaient leurs comptes, certains disparaissaient, d'autres étaient mutilés, et c'étaient les requins ou les jaguars que l'on accusait, versions tropicales du bouc émissaire.
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L'homme, ravi de se retrouver devant un auditoire captif, avait parlé, raconté sa jeunesse et le temps où les routes n'arrivaient pas jusqu'à son patelin, quand tout étranger de passage constituait un évènement d'importance, alors s'il s'en souvenait de ce couple, eh bien oui, forcément, d'autant qu'on avait mis l'homme et la femme sur sa charrette à lui, pour les transporter vers un centre de soins plus adapté à leur état, parce qu'au village on n'avait rien, un coup de rhum, et ça repartait, c'était comme ça, on n'avait pas tout ce bazar et ces télés qui gueulent et nous farcissent le cerveau d'images sans queue, ni tête.
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Adulte, j'ai souvent repensé à ces moments un peu brumeux, vécus dans un engourdissement las, mais confiant, j'aurais aimé en retrouver la texture, la saveur, la merveilleuse incertitude, et c'est aussi à cela que je m'explique, jour après jours, à peindre mes grandes toiles colorées. Retisser les sensations passées et, ainsi, épaissir un peu le présent. A ces épisodes, nulle vraie joie n'est attachée, mais c'est qu'ils étaient le prélude, le premier pied posé sur une terre vierge, ils inauguraient. Je serai sidérée, bien plus tard, en cours, lorsqu'un professeur de littérature nous expliquera que le temps initiatique, celui qui permettait de mourir à quelque chose pour renaître autrement, est traditionnellement de trois jours. Trois jours avant que le Christ ne ressuscite du cœur de la terre, trois jours passés par Jonas dans le ventre du monstre marin avant d'en être recraché... Et nous, beaucoup plus modestement bien sûr, nous avions mis trois jours pour arriver.
Au Costa Rica.
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Jean-Loup. Qui d’ailleurs au passage avait, à l’écran, des dents d’une blancheur éclatante. Qui donc avait été, merde alors, espion au service de la DGSE.
Espion.
Au service de la DGSE.
C’était ce même homme qui « parlait boulot » avec mon père pendant que mon frère et moi piquions discrètement du dentifrice dans sa salle de bains. Comment ça, boulot ? Mon père était ingénieur au Bureau pour le développement des transports et lutte contre la pollution. Ça alors. D’un coup, le parallèle avec le bureau brésilien de la DGSE me sautait aux yeux. Le développement de la production agricole d’un côté, le développement des transports de l’autre. Et même cette formulation, que je n’osais croire ironique, la « lutte contre la pollution ». De quoi s’agissait-il vraiment ?
Mon père ? Tout cela était-il bien sérieux ?
À peine formulée, la question me fit l’effet d’un poids énorme brusquement déposé sur mes épaules désemparées. Comme une fatigue écrasante, d’un coup. Mon père, espion ? L’homme que je savais plutôt débonnaire pouvait-il avoir agi dans l’ombre de façon occulte, voire violente, quand je le pensais fermement attaché à des valeurs telles que la franchise et la droiture, pouvait-il avoir bâti sa vie et toute notre histoire familiale sur une imposture ? Et ma mère, là-dedans ? Avait-elle, elle aussi, un double visage, Janus inquiétant veillant sur deux mondes opposés et séparés par de lourdes portes ?
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Vingt ans de vie à Paris n’avaient pas fait de moi une Parisienne. C’était là du provisoire qui durait, une existence adoptée, un beau jour, et qui s’était prolongée. Ça ne me dérangeait pas. La vie que je menais me convenait, en gros. Mais le transitoire pouvait bien durer, pouvait bien me plaire même, rien ne me permettait de m’ancrer véritablement dans ces trottoirs, ces rues, ces bâtiments qui pourtant étaient devenus mon quotidien, son unique décor. Mes racines étaient ailleurs. Elles s’étaient allongées, étirées librement durant quelques années, les années d’enfance. Jusqu’à la séparation. Après, elles étaient restées bien plantées, comme savent le faire les racines, quand moi j’avais plié bagage.
Mon enfance, je l’avais passée dans un petit pays tropical. Affaire classée, seuls perduraient quelques souvenirs, soigneusement rangés dans une sorte de boîte, enfin disons plutôt un coffret, imaginons même un bel objet, patiné par le temps, glissé quelque part dans un des replis de mon cerveau. Car le cerveau planque des bribes de vie en des endroits improbables, s’amuse à les réactiver de temps en temps, il coupe, triture, mélange, fait chauffer, griller, rôtir, cramer aussi parfois. Et de cette cuisine énigmatique découlent nos fulgurances comme nos impuissances, la pâte dont nous sommes faits.
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Car l’enfance offre parfois, et c’est heureux, l’insouciance, la légèreté, la joie qu’après la vie mégote, alternant habilement rires et pleurs, bonheurs et cruautés.
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Avec mes tableaux, je creusais mon petit trou, mon tunnel clandestin vers la lumière et, qui sait, peut-être qu’un jour je retrouverais deux ou trois fulgurances.
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C’était cette pâte que je travaillais au quotidien. Enfin ce que je m’imaginais être ma pâte. Que j’étalais, jour après jour, sur des toiles que je fabriquais moi-même et qui encombraient une bonne partie de mon appartement.
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