Et la musique de leur histoire leur revint par petites notes fracassantes, la musique qu'ils entendaient en sourdine depuis treize ans, celle des factures à payer, des loyers difficiles, des envies de campagne, des rêves tus, des désirs étouffés, comme des pointillés d'envies, si petits et si nombreux qu'en les regardant du ciel on n'aurait plus vu qu'un seul grand et net désir, celui de s'évader.
Parmi leurs amis aussi, le débat faisait rage. Nicolas et Victoire n’avaient pas d’opinion, et n’avaient pas le snobisme de s’en forger une. Ils avaient l’honnêteté de reconnaître que ce qui les attirait, comme tout le monde, c’était que tout était vrai. Ce n’était pas les petites fictions qu’on leur débitait au kilomètre, pour les faire tenir tranquilles. Dans le Loft, l’écran suintait de réalité, une réalité blafarde, mais qui était la leur : celles de jeunes gens qui, comme eux, attendaient vaguement que quelque chose leur arrive. D’une certaine manière, ils avaient le sentiment que l’émission, et son succès phénoménal, leur rendait justice, à eux et à tous les anonymes sans destin. Et ils en avaient besoin : derrière son apparente facilité, leur quotidien était âpre. Il était âpre parce que tout dans leur vie se heurtait au vide. Certes, ils faisaient bloc ; mais ils manquaient de modèles dans le fond ; ils manquaient aussi d’imagination.