Et si la chance est un grand gâteau ; les gens en mangent des parts et à la fin il n’y en a plus ? Comme le bonheur ?
Ne vous arrive-t-il jamais, en grattant un ticket de loterie ou en piochant une carte sur la pile, d'être convaincu de gagner ? De sentir le roi au sommet du paquet, de jurer que le chiffre gratté avec la petite cuillère va remporter un lot ? À cet instant, un feu rayonne en vous, une confiance : vous tenez mille paillettes de chance au bout de doigts. Mais qui allume ce feu, qui sème ces paillettes ?
- Poisson, Yvon va mourir.
- Tu n’as qu’à décider que non. Qui est Yvon ?
- Mon oncle. Ses poumons vont se remplir d’eau.
- La belle affaire ! N’a-t-il pas de branchies ?
C’est dans ce jardin, un soir d’été, que commence l’histoire d’Agathe. Si vous la rencontriez – et en fait, vous la rencontrez, puisqu’elle vous sourit en ce moment même, en face de vous – elle vous dirait simplement : je m’appelle Agathe, j’ai douze ans. Et vous verriez dans ses yeux, comme dans certaines pierres précieuses, une radiance et une nostalgie. Elle ne détournerait pas le regard, vous non plus ; vous deviendriez peut-être amis. Mais son oncle Yvon l’appelle depuis un endroit éloigné du jardin et en un instant elle s’échappe, sautillant sur les pierres plates entre les massifs.
« Pour les enfants, la mare n’avait pas de fond. Ils ignoraient si les écailles brillantes entre les mousses étaient celles des goujons, ou de trésors. Dans le jardin fleurissaient sans cesse des œufs de Pâques, les branches du figuier ou des lilas appartenaient plus au ciel qu’à la terre et les groseilliers n’étaient qu’un passage vers d’autres mondes, des tunnels de feuillages aquatiques où certains chemins secrets saturés du parfum des longues journées d’été. Les tulipes chantaient, et si la brise du soir agitait leurs tiges, c’était l’œuvre d’une bête invisible. Au crépuscule, quand la lampe à pétrole teintait les arbres d’ombres violettes, des créatures couraient dans les branches et on ne savait plus, sous les feuilles, si c’était là-bas une étoile, une luciole ou une paire d’yeux. »
« – Pourquoi n’es-tu jamais triste? – Oh parce que je m’émerveille d’un rien. Il y a trop de rayons de soleil pour les oublier tous. »
« Quand on est adulte, on ne sait plus écouter. »
« On se demande parfois comment germent certaines de nos idées d’enfants. Pourquoi soudain, le danger ou le risque perdent leur sens ; pourquoi la vie si implacable prend soudain la figure d’un jeu et que plus rien de sérieux – la douleur, les proches, le futur – n’importe. »