Chaque société humaine doit justifier ses inégalités : il faut leur touver des raisons, faute de quoi c'est l'ensemble de l'édifice politique et social qui menace de s'effondrer.
Si l’on ferme toute perspective d’action (voire parfois de débat) au sujet de la redistribution et de la justice sociale, par exemple en expliquant que les lois de la mondialisation et de l'économie empêchent rigoureusement et éternellement toute redistribution véritable, alors il est presque inévitable que le conflit politique se concentre sur le seul terrain d’action qu’on laisse aux Etats, á savoir le contrôle de leurs frontières, et parfois l’invention de frontières intérieures. Autrement dit, la montée des clivages identitaires ne doit pas être vue comme la conséquence (certes regrettable, mais au final inévitable) de l’entrée dans le monde postcolonial. Il me semble que l’on peut aussi et surtout voir cette évolution comme la conséquence de la chute du communisme, de la montée du fatalisme identitaire et de la perte de tout espoir de transformation socio-économique fondamentale. Seule une réouverture du débat sur la justice et le modèle économique peut permettre à la question de la propriété et de l’inégalité de reprendre le dessus sur celle de la frontière et de l’identité.
L'étude des idéologies inégalitaires anciennes et leur sophistication permet aussi de mieux mettre à distance les idéologies du présent, qui ne sont pas toujours plus sages que celles qui les ont précédées, et qui finiront elles aussi par être remplacées.