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Critique de jvermeer


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C'est l'histoire d'une surprise, puis d'un émerveillement : le mien…
J'étais venu insouciant au Grand Palais à Paris en cet après-midi de début juin, dans un esprit de découverte d'un peintre moderne que l'on disait symboliste. Je savais que cet artiste avait vécu l'aventure impressionniste puisqu'il avait participé à la huitième et dernière exposition du groupe en 1886. Etrangement, je ne connaissais que son nom et ignorais son oeuvre. On le disait discret, renfermé, singulier dans son travail…
Je gardais précieusement dans ma bibliothèque un vieux bouquin « Peints à leur tour », daté de 1948, écrit par Thadée Natanson, important critique d'art, fondateur et rédacteur en chef de la Revue Blanche à la fin du 19e. Il avait bien connu Odilon Redon et l'avait surnommé le « prince du rêve ». Quelques phrases de ce livre m'avaient intrigué :
« Pour donner de formes sensibles, mais aussi de cheminements abstraits, une expression toujours purement plastique, […] personne n'aura trouvé de moyens plus simples, mais plus efficaces et plus originaux. »
« Dans le royaume lointain du lithographe, […] les noirs d'Odilon Redon, qui sont parmi les plus noirs qui aient été tirés, réalisent sur le papier les ténèbres. Monsieur Degas, connaisseur difficile, disait son admiration de ces noirs. »
« Les créations de Redon ne ressemblent qu'à elles-mêmes. Tantôt grâce à une sagacité de l'inachevé, tantôt par un très personnel accent de tristesse. »

Dans la première salle, silencieuse, je ne vois que des petites oeuvres accrochées l'une à côté de l'autre dans la pénombre : dessins au fusain, eaux-fortes, gravures. Je lis sur un mur que l'essentiel de l'oeuvre du peintre, jusque vers sa cinquantième année, reste de façon presque exclusive dans le noir. « le noir est en somme la couleur la plus essentielle, n'est-ce pas ? disait Redon à Emile Bernard. »

La plupart des gravures de Redon qu'il avait publiées dans une douzaine de recueils lithographiques, sont exposées : Dans le rêve, À Edgar Poe, Les origines, Hommage à Goya, La tentation de Saint Antoine, À Gustave Flaubert, Les fleurs du mal, Les songes…
Une grande liberté anime le travail de cet artiste original. Tous les sujets ont retenu l'attention du dessinateur : visages, corps, chevaux, arbres, fleurs, paysages. L'univers de Redon, exprimé sur un mode intimiste à la façon d'un Gustave Moreau, est sombre, fantastique, énigmatique : Une tête sans corps repose sur un plateau. Une étrange araignée à tête humaine nous sourit.
Cette première partie de l'exposition se termine. Les yeux d'enfants de Redon exploraient-ils ses origines ? : résonance intime de son âme… émerveillement et angoisse de la petite enfance…
« L'art est une fleur qui s'épanouit librement, hors de toute règle ; il dérange singulièrement, ce me semble, l'analyse au microscope de savants esthéticiens qui l'expliquent. »


Puis la couleur jaillit… le jour succède soudainement à la nuit…
Un sentiment d'espace métaphysique, de légèreté, de joie simple, transfigure les toiles qui m'entourent. Les murs présentent une symphonie musicale dont les couleurs chatoyantes sont les notes.
Odilon Redon a 50 ans en 1890. Jusqu'à son décès en 1916, le peintre va travailler sur la couleur, avec une préférence pour la technique du pastel qu'il épouse définitivement. Son art est ravivé. Il écrit à Emile Bernard en 1895 : « Je délaisse de plus en plus le noir. Entre nous, il m'épuisa beaucoup, il prend, je crois, sa source aux endroits profonds de notre organisme. »

« Les yeux clos », daté de 1890, est l'oeuvre qui semble faire la transition du noir vers la couleur. La figure surgit dans l'aube grise comme émergeant de l'eau, sorte d'image christique de la résurrection.
Cette lumière éclatante m'éblouit… Je repense à ces levers de soleil qui trouent la nuit à l'aurore et envahissent d'un coup le ciel de lueurs flamboyantes.
Des motifs divers m'apparaissent : de magnifiques portraits de femmes, une Jeanne d'Arc nimbée de rouge, des êtres mystiques ou mythologiques, Vénus sort d'un coquillage. La voile d'une barque mystique est portée par une onde verte sous un ciel d'or et d'argent, l'intensité du jaune de la voile juxtaposé au bleu de la quille fascine. Un cyclope, redoutable géant, semble attendri et suppliant, comme figé d'admiration devant un nu féminin.

Très touché par le décès de Gauguin aux Marquises en 1903, Redon fait un portrait posthume « Portrait de Paul Gauguin » du peintre qu'il admire.

J'observe des vases de fleurs des champs. Les tons purs du pastel les rendent aériennes, légères, lumineuses. Je n'avais encore jamais vu une telle réunion de pastels. Les tonalités veloutées sont somptueuses.

Un talent unique ! Un grand poète ! Ce peintre mystérieux puisant son inspiration dans les méandres de son inconscient, de ses rêves, m'avait totalement séduit. Il refaisait le monde à son image :
« On a tort de me supposer des visées. Je ne fais que de l'art. »

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