On m'avait prévenu que, même pour un voyageur aguerri, la découverte de Calcutta constituait un choc, et je n'avais pas été déçu. Tout y laissait une impression de désastre et chaos. Le soleil était en permanence voilé par un brouillard de poussières et de gaz d'échappement qui encrassait les poumons. La chaleur était suffocante et le vacarme des moteurs et des klaxons assourdissant.
Malgré le confort qui m'envahit et, de plus en plus, m'enlise, je me sens encore tout proche du jeune homme que j'ai été, plein de confiance et d'entrain, qui impatient, plus résigné ou, si l'on veut, plus sage, mais pour l'essentiel, pour ce qui constitue le fond de ma personnalité, je n'ai pas changé, je garde en moi la même insatisfaction, la même inquiétude, la même croyance qu'ailleurs sera toujours mieux que là où je suis, même si je sais maintenant que le bonheur est un mot de légende.
Il était pauvre, bien sûr, mais sa pauvreté ne lui pesait pas puisque c'est lui qui l'avait choisie. Elle constituait même un privilège parce qu'elle lui ouvrait toutes les portes, et je ne crois pas que l'homme le plus riche du monde puisse jamais s'acheter tout ce que Dennis avait pu obtenir sans contrepartie. Sa pauvreté, c'était aussi sa liberté. Toute sa fortune tenait dans son sac à dos. A tout instant, dès qu'il en éprouvait le besoin ou l'envie, il lui était loisible de dire : je m'en vais, et de partir sans rien laisser derrière lui.
Partout dans le monde, la nuit est le manteau des pauvres. Elle pose un voile sur la misère et sur les souffrances. Peut-être n'était-ce qu'une illusion mais j'avais l'impression qu'avec la nuit les visages se détendaient et qu'une nouvelle vie commençait, plus légère, moins cruelle, presque chaleureuse.
Je ne voulais pas le laisser partir sans explication. Il fallait absolument que je lui parle. Je lui ai proposé de monter dans mon bureau mais il a refusé. Il me regardait d'un air triste et résigné, comme si la décision de s'en aller ne dépendait plus de lui, comme si elle résultait d'une fatalité contre laquelle il était impuissant.