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Citations sur Rescapé : Auschwitz, la Marche de la mort et mon combat.. (4)

À Auschwitz, il n'y avait pas de calendrier. Ni dates, ni anniversaires, rien qui ne puisse marquer le passage du temps. Pour les chanceux, ceux d'entre nous qui survivaient, la nuit suivait le jour, et les jours devenaient des semaines. Peu parmi nous parvenaient à rester vivants pendant des mois. Je ne sais donc pas précisément à quel moment je suis tombé malade. C'était probablement en décembre 1943, par un temps glacial comme l'hiver polonais peu en offrir. Dans la mince tenue rayée réglementaire des déportés, tunique et pantalon, j'aurais du sentir le froid mordant, mais ce matin là, j'avais chaud et j'étais en nage.

(...)

Pendant les trois et quatre jours que dura mon séjour à l'hôpital, j'eus le temps de réfléchir. J'avais frôlé la mort et des instants de ce genre poussent à la concentration. J'avais dix-sept ans. Ma famille avait disparu j'étais seul au monde. Mais il n'en avait pas toujours été ainsi. Autrefois - un passé distant de quatre ans à peine -, j'avais vécu une époque magique où personne ne parlait de la mort, ni même ne l'imaginait. Une époque de vie qui avait constitué mon enfance.
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La nourriture, rien d'autre ne comptait. Des civils tchécoslovaques se rassemblaient sur des ponts sous lesquels notre train s'annonçait par un sifflement pour nous jeter du pain. Les SS braquaient leurs mitrailleuses vers le ciel et dispersaient ces bons Samaritains d'une rafale ; ils abattaient des gens qui tentaient de nous donner à manger. Ils retournaient aussi leurs armes contre nous, arrosant quiconque s'était emparé d'un morceau de pain. Nous étions victimes d'un processus de surextermination, car déjà en train de nous entretuer dans ces wagons. La loi de la jungle qui régnait à Auschwitz-Birkenau et Fürstengrube s'était établie dans ce train. Nous nous battions, nous bousculions, nous balancions des coups de poing, nous arrachions les yeux, envoyions des ruades avec l'énergie du désespoir, celle des affamés. C'était la lutte pour la vie. Les plus costauds, les plus forts, les plus méchants, arrachaient leur ration de pain. Les plus faibles et les plus petits se repliaient en eux-mêmes, soulignant leur impuissance.
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C'est à ce moment-là que je vis pour la première fois l'homme qui hante mes cauchemars aujourd'hui encore. Une taille au-dessus de la moyenne, massif, les cheveux ras - la coiffure des aryens. Il avait peut-être trente-cinq ans et portait une casquette à bord souple, que les SS appelaient Schiffchen, avec un aigle et un insigne à tête de mort. Une seconde tête de mort, au cas où on aurait manqué la première, figurait sur le côté droit de son uniforme de Waffen-SS vert-de-gris - encore un symbole de mort - et du côté gauche, une étoile. Je ne le savais pas à l'époque, mais cet insigne figurait son rang dans la hiérarchie, Unterscharführer, caporal. S'il avait été soldat dans la Wehrmacht, il aurait été Unteroffizier, mais il était SS : ceux-ci possédaient leurs propres grades, leurs règles, et une attitude spécifique. Il s'appelait Karel Kurpanik.
J'allais mettre du temps avant de prendre la mesure des gardes SS à Auschwitz-Birkenau, et ce n'est que maintenant que je me rends compte du genre d'hommes qu'ils étaient. Des sadiques et des salauds - oui, cela va sans dire -, mais c'était infiniment plus complexe que ça. La plupart d'entre eux étaient trop vieux pour aller au front et les plus jeunes avaient été en général blessés et n'étaient plus valides pour les unités de combat. Beaucoup d'entre eux étaient des Volksdeutsche, en suspens entre deux mondes. Même s'ils s'étaient portés volontaires, la Wehrmacht n'en aurait pas voulu parce que non-aryens. Ironiquement, si l'on réfléchit à l'obsession raciale des SS, ils n'avaient pas ce genre de tabous et recrutaient ces hommes pour les affecter aux camps de travail et de concentration toujours plus nombreux.
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Ca ne lui demanda que quelques secondes. Son doigt pointa vers la gauche. La chambre à gaz. Le four crématoire. Le néant. Est-ce que la pensée de rejoindre ma famille, de les revoir dans l'au-delà me traversa l'esprit pendant ces quelques instants terribles ? L'idée que ce malheur allait bientôt prendre fin ? Peut-être. Mais le désir de vivre était le plus fort ; voir une aube nouvelle ; manger encore une croûte de pain. Je fondis en larmes, me jetai à ses pieds, laissant précipitamment échapper quelque chose sur mon désir d'être fusillé et non gazé. Je crois même avoir embrassé les bottes de Mengele, toujours impeccables, cirées au point qu'on s'y reflétait comme dans un miroir.
Les bottes s'éloignèrent. Et aujourd'hui encore, je ne sais toujours pas pourquoi.
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