Je me dis que si l'on pouvait filmer ses rêves et ainsi les fixer, on obtiendrait sans doute, d'une personne l'autre, d'un âge l'autre, des différences d'univers remarquables. Simple supposition. L'univers onirique serait-il aussi plat que l'univers réel ? On ne serait déçu que si l'on s'attendait à des merveilles, mais, à défaut de merveilles, du moins y trouverait-on sans doute, même chez les êtres les plus plats, de l'insolite, un insolite que l'on ne chercherait pas à interpréter, comme les psychanalystes, mais qu'on regarderait, tel quel, comme on regarde un film ou comme on lit un poème.
Rien n'est pire qu'un mot en train de mourir et dont le sens se décolle comme la mue d'un serpent. On le trouve dans un coin, déjà recouvert de poussière, on le ramasse, on le soupèse, mais on ne comprend pas ce qu'il fait là et à quoi il pourrait servir. Et plus les jours passent, et plus on en trouve ainsi que l'on reconnait mais sans la mémoire de ce qu'ils voulaient dire. Amalgamés, ont ils formé un vers perdu ? Ont-ils été la racine d'une admiration ? On ne s'en souvient plus. Peut être ont-ils été déposés là par une inondation oubliée, venus de l'autre rive de ce fleuve qui ne cesse jamais de couler, nous barrant le passage d'un possible retour. Sans doute sont ils les restes d'une maîtrise depuis longtemps gangrénée. Les restes d'un savoir qui n'a pas cessé de s'éteindre en nous.