Le coeur blanc

Tu sais ce qu'on est pour eux ? On est les abricots du rebut, les vilains petits fruits tout piqués, tavelés, tordus, les invendables qu'on balance dans le cageot pour la pulpe.

Je l'aime mon amie, quand elle est heureuse, qu'elle renverse sa tête d'or dans le soleil, son heaume rougeoyant de guerrière nue sur la roche blanche, qu'elle a ce rire voilé qui roule en cascade dans sa gorge pâle, le chien blotti dans le creux de ses genoux.

T'est belle Mounia, aussi belle que la première femme du monde quand elle est sortie des flots.

Il tente de s'accrocher à elle, ses mains qui n'osent pas n’effleurent que ses épaules, jamais il ne tentera plus si elle ne l'aide pas un peu, sa déesse sauvage, son Athéna coiffée de feu, son seul amour depuis toujours, sa vie.

J'ai pensé aux saisonniers nouveaux qui commençaient à affluer de partout, de jour en jour plus nombreux, plus dépenaillés, plus fauchés et nécessiteux de travailler, la peur qui déjà s'installait chez les gens du pays, cette guerre eux et nous qui allait reprendre.

Mon cœur est insatiable de chaleur à l'heure où tous se terrent dans des maisons sombres, des cabanons de fortune, ou échouent aux terrasses des bars pour regarder les cuisses des filles.

Nous y passons tous. Nous buvons et buvons encore puis nous tombons. Étrange jeu de massacre. Nous nous relevons le lendemain, la tête éclatée et les neurones en miettes.

Ça c'est le camion de la pute, dit l'enfant, la sale pute qui est rousse comme moi. La pute de saisonnière.

Onze heures du matin et il faisait déjà très chaud sous les arbres, des chênes verts et des genévriers à l'odeur âcre et enivrante d'encens des forêts. J'ai baissé les yeux, ma sandale se détachait et alors je les ai vus. La terre bougeait, un infime tressaillement, de partout surgissaient des créatures gauches et rampantes. Elles sortaient de trous noirs qui paraissaient très profonds. La terre accouchait des cigales...

Assise dans l'ombre du bar je caresse mes mains longuement, mes mains... Deux bêtes, fidèles que j'ai tant meurtries dans la terre et les ronces.