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Critique de daniel_dz


Un magnifique recueil d'entretiens avec Hugo Pratt, centré sur sa vie et ses idées, et illustré de superbes dessins et aquarelles. Aventures, rêveries, ésotérisme, brassage de cultures, m'ont procuré un moment de lecture passionnant. Outre les informations que le livre m'a apportées sur Hugo Pratt, j'en tire une belle leçon d'optimisme et d'harmonie !

J'ai déjà évoqué ici toute l'affection que j'avais pour Corto Maltese. Il m'a ouvert les yeux sur le côté ésotérique de Venise, loin de la guimauve touristique qui la présente comme la ville des amoureux. J'aime beaucoup le personnage libre et aventurier de ce personnage, ainsi que son univers onirique. Lire un volume de ses aventures est toujours irremplaçable moment d'évasion.

Là-dessus, j'en suis venu à m'intéresser à son auteur, Hugo Pratt, pour me rendre compte petit-à-petit qu'il ne manquait pas de points communs avec son personnage le plus célèbre. Pour en savoir plus, j'ai choisi de commencer par me plonger dans des entretiens menés par un passionné de bande dessinée, Dominique Petitfaux, qui les a publiés en deux volumes: « De l'autre côté de Corto », centré sur l'oeuvre d'Hugo Pratt, et puis « Le désir d'être inutile », centré sur sa vie et ses valeurs.

« Le désir d'être inutile » m'a procuré un réel plaisir de lecture. Tout d'abord, c'est un bel objet: 287 pages de grand format, papier de couleur crème, composition élégante, superbes dessins et aquarelles d'Hugo Pratt et quelques photographies d'époque. Je l'ai emprunté à la bibliothèque, mais je pense que je vais me l'offrir !

Les entretiens ont été menés de janvier 1990 à mars 1991, quatre ans avant le décès d'Hugo Pratt. Dominique Petitfaux a structuré l'ouvrage en deux parties. Dans la première, « Sous le signe du chat », il laisse Hugo Pratt raconter sa vie, chronologiquement, en sept chapitres. Puis, dans la deuxième partie, « Sept portes vers un univers », il l'interroge sur certains thèmes: la diversité des cultures, l'ésotérisme, les mythes, les femmes, la guerre, etc. La septième porte s'intitule « Le désir d'être inutile »; elle se termine par un paragraphe qui explique le titre et qui caractérise fort bien le dessinateur: « Bien sûr, c'est vrai que les mondes que je visite au hasard de mes recherches peuvent parfois être jugés puérils ou inutiles, tant ils sont éloignés des préoccupations quotidiennes, mais quand aujourd'hui je repense à ceux qui m'accusaient d'être inutile, et à ce qu'ils croyaient être utile, alors, vis-à-vis d'eux, je n'ai pas seulement le plaisir d'être inutile, mais aussi le désir d'être inutile. ».

Hugo Pratt a mené une vie d'aventurier incroyable. Né en 1927 dans une famille multiculturelle, il a grandit dans une Italie fasciste. « Le fascisme était la doctrine officielle, et ma famille était naïvement fasciste. Mon père, en particulier, était totalement sincère et honnête. » Jeune adolescent, il vit avec sa famille en Éthiopie, où il se retrouve enrôlé dans l'armée italienne. Mais, presque par jeu, avec ses copains de l'époque, il finit par passer d'un uniforme à l'autre. « Nous étions parfois irresponsables, mais devions être aidés par le diable. Nous savions comment nous procurer au dépôt américain le chocolat, le Coca-Cola, les cigarettes et le chewing-gum, bref tout ce qui vis-à-vis des gens de notre âge constituait les attributs du pouvoir. » Rassurez-vous, il a rapidement pris ses distances vis-à-vis du fascisme.

Les années passant, il a mené d'autres aventures aux quatre coins du monde, notamment en Argentine, où il a connu un brillant début de carrière de dessinateur.

La première partie de ce recueil d'entretiens se lit comme un roman d'aventures ! Assurément, Hugo Pratt a dû vivre quelques moments difficiles, mais cela ne transparaît jamais dans ses propos: on a plutôt l'impression de suivre un homme qui a su goûter chaque seconde de plaisir que la vie a pu lui offrir. Un modèle d'esprit positif, dirais-je. Des moralisateurs pourraient sans doute déverser un fiel de reproches sur cet aventurier; par exemple, sa façon libertine d'aborder les femmes serait probablement qualifiée de machiste de nos jours. Mais dans ces entretiens, Hugo Pratt m'a frappé, et séduit, par sa sincérité et l'harmonie qui se dégage de sa personne. Il ne cache rien, il assume sa vie telle qu'elle a été. Sans doute que, plus âgé, il n'aurait réagit autrement face à certaines situations qu'il a connues dans sa jeunesse, mais il assume sa jeunesse; c'est ainsi.

Dans la première partie, mais plus encore dans la seconde, on mesure l'étendue de la culture d'Hugo Pratt, nourrie par ses voyages, son ouverture et sa curiosité et facilitée par sa connaissance des langues des pays où il a vécu (ce qui est remarquable, soit dit en passant). Hugo Pratt n'est donc pas un aventurier superficiel, qui ne penserait qu'aux mauvais coups et à la castagne. Il est bien plus intelligent que cela, sans quoi son oeuvre n'aurait pas eu le succès bien mérité qu'elle a eu.

Je vous recommande bien chaleureusement ce beau livre ! Quand à moi, je mets sur ma pile « De l'autre côté de Corto » ainsi que la série des Corto Maltese que j'ai à peine entamée mais que je compte bien lire et relire.
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