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Critique de DianaAuzou


CANTO HUMILDE – CHANT HUMBLE - PHILIPPE PRATX*****

« Je n'existe pas
Je n'ai voix que de vos vies », quelle meilleure façon d'exister ?

J'étais partie loin, très loin, dans des contrées où le passé est mort, sauf dans la mémoire, où la terre a souffert, elle s'en souvient encore, où l'herbe a brûlé et d'autres vies avec elle, les cendres en parlent, où la vie demeure puisqu'elle porte ce nom, et dans ces contrées éloignées et tellement proches j'ai revécu la colère et embrassé les humbles, j'ai crié ma rage et mon impuissance, j'ai souri aux humbles et serré leurs mains, les guambianos et les koguis, j'ai appris leur langue, le ticuna, maintenant un isolat, et monté à cru les plus beaux étalons, me suis accrochée à leur crinière face au vent et aux grandes étendues et suivi les cours des rivières, je me suis arrêtée chez les wayuus, ils m'ont offert un alijuna, cadeau précieux.

C'est la Colombie et ses peuples, c'est la terre entière qui crie, gémit, sous le poids lourd de l'indifférence du mépris et de la cupidité, c'est la vie qui s'éteint, ce n'est pas pour demain, vous dites, c'est vrai c'est pour après-demain.
Des chants comme une prière, une litanie, un amour entier pour ceux dont la vie a creusé des rides plus profonds qu'ils ne veulent montrer, dont la peau s'est tannée au travail sous le soleil de feu et dont la voix est celle des « los nadie »(personne) .

L'endurance des llaneros va au-delà des vastes plaines herbeuses et au-delà du temps dont les marques la rendent encore plus forte et plus solide.
De tous les noms dont la beauté s'est fait baptiser, elle a choisi ici, dans les plaines aux horizons lointains, les noms de dureté, chevaux et poésie, j'ai accompagné leur solitude, celle qui ne fait pas mal, car « ce qui fait mal/c'est une douceur menteuse/une douceur violente/.../nous étouffe et nous vide/.../elle pèse sans poids », et dans notre solitude nous avons chanté la guajira accompagnée du son plaintif des guitares.

L'amour et la poésie sont inséparables sous la plume et dans le coeur de Philippe Pratx. Amour sensuel qui caresse et embrasse, amour hommage aux fils de la terre, amour révolte contre le saccage, et amour tristesse et nostalgie après le désastre, devant les ruines et devant cette certitude "de ne rien pouvoir. »

La colère bouillonne dans mon ventre, elle m'étouffe mais je continue à lire :
« et vous nous contemplez
non pas nous
ce serait trop d'honneur pour nous
mais notre posture d'impuissance...
vous nous traitez comme des ombres
vous ne comprenez pas que l'on puisse être humble...
vous souvenez-vous que vous êtes nos semblables ?
vous chassez ça
tout de suite de votre esprit...
parce que vous êtes plus vieux que nous
vous croyez être plus respectables
parce que vous êtes jeunes
vous nous prenez pour de vieux cons
parce que vous êtes riches
vous nous prenez pour des ratés
parce que les frigos
de vos têtes
sont pleins de certitudes
vous jouissez de voir les
convulsions de nos doutes affamés
vous n'êtes pas
plus forts que nous
mais vous savez tricher...
mais vous n'avez jamais
honte d'oser
quand il n'y a pas de risque et
beaucoup à gagner...
votre indifférence plus méprisante que le mépris. »

Cinq lettres meurtrières ESMAD, et tant de morts, mais leurs paroles et leurs noms resteront vivants : Angie, Nicolàs, Brayan, Maicol, Jesus, Alison, Einer, Marcelo, Cristian, Llucas, Dilan. Pour le souvenir, ils sont la vie.

« ce monde meurt
sans apocalypse
cela peut prendre encore des siècles
la sagesse
l'humilité
aurait pu le faire vivre
plus longtemps
avec plus de bonheur. »

Le grand suicide de l'humanité entière est en train de se faire, la vie crie au secours :
« car la vie quand même !...
celle qu'on entend et celle qu'on n'entend pas
celle qui te ligote les chevilles
pas pour les immobiliser au contraire
pour insuffler la frénésie le souffle le feu...
penser à tout ce qu'on peut faire
de sa vie
les rêves oh ils ne sont pas tous bien reluisants
mais ça te donne la rage de vivre .»

Où trouver des mots plus justes plus éloquents, plus forts pour parler du Canto humilde - Chant humble de Philippe Pratx ?
Dans le texte même témoin d'un style qui martèle l'ignominie et panse les plaies, d'un rythme qui suit les battements du coeur, les pauses de respiration, le recueillement, et l'énergie d'un vie rebondissant à chaque vers et à chaque page.

Le texte est témoin d'un poète qui ne pourra peut être pas sauver le monde mais en tout cas l'éveille, transmet, ne laisse pas mourir des voix d'un passé inconnu par un grand nombre, dont je fais partie, et donne aux humbles la place respectée.

Toujours le texte est témoin d'un chroniqueur authentique, connaisseur de l'histoire d'un peuple dont il partage la vie.

Je souhaite, tout comme Juan Sebastian Rojas qui a préfacé tes chants, que le plus grand nombre de lecteurs lisent tes pages et s'empreignent d'un cri de révolte, d'un chant d'amour, d'un style dont la poésie, la noirceur et la lumière viennent d'une profonde obscurité et portent la cape du talent et la voix de tous les humbles frères humains.
Magistral !
Un énorme merci, Philippe, pour tout.
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