AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Fleitour


Un Choc, Un Ailleurs, Une Marche, un Poème épique, Un livre singulier, KARMINA VLTIMA un événement.


C'est sur un Haïku du poète japonais Issa que s'ouvrent les textes de Philippe Pratx, s'ouvrent et se referment par ces quelques mots :
Ma maison quand même
cernée du cri des cigales
est restée ouverte.

La lecture de Karmina a quelque chose d'hypnotique, où l'on rentre dans un état second, habité par une mélancolie profonde et tragique.
"Il faudrait une pirogue pour traverser mes larmes".
L'auteur Philippe Pratx nous propulse à la fin d'un siècle pour aller dans le futur, tel le long cheminement de la mémoire, ou celui d'un esprit souvent au bord du vide. C'est à peine un chemin bien défini, même si le thème central est la longue marche effectuée par l'un des derniers survivants de cette Afrique du Congo, le dernier Mangbetu.


LE LIVRE COMME une entrée dans UN MONDE FUTUR

Les textes de Karmina forment comme un objet non identifiable entre la poésie, le récit, la biographie, et les témoignages.
Philippe Tesson avait initié sur son voyages en Sibérie, une forme littéraire singulière. Puis il avait imaginé avec Les Bois Noirs une réflexion poétique et souvent caustique sur la situation des villages traversés.
Ici Philippe Pratx nous propulse sur les chemins de la philosophie, et sur notre propre part de responsabilité, il écrit page 131,
Tes idées sont belles / Sur l'avenir des hommes,
Eh ! Tout ça ce sont de belles paroles
Mais que feras-tu de ma souffrance ?
Philippe Pratx, cible l'inconstance, et nous renvoie à l'exigence de l'humanisme.
C'est une poésie faite d'alternances entre les chants, des poèmes, et les dialogues entre lui et le monde, entre le monde et la nature.
Cet objet littéraire me semble prometteur, et même exaltant par sa composition et son originalité. Aussi je pense que cette forme aurait pu m'accompagner quand je cherchais à décliner un monde allant des ténèbres à la lumière.


AU-DESSOUS DU VOLCAN DE MALCOM LOWRY

Comme un long poème musical en prose, Karmina Vltima, porte tous les stigmates de la solitude et du désespoir d'un homme. Énigmatiques et étonnants, les mots sont presque fidèles aux angoisses de Geoffrey Firmin, dans Au-dessus du Volcan, " le tournis à l'intérieur du tournis". l'ensemble Karmina Vltima de Philippe Pratx, forme comme un cercle entre le premier et le dernier chant, comme une danse traditionnelle que l'on reprendrait, pour rentrer en transe.
Cependant, Philippe Pratx ne parle pas seulement d'un homme ancien, mais de celui d'aujourd'hui. Cette longue tirade, transforme le sentiment personnel en une quête plus forte, une démarche initiatique.
"Rappelons-leur : leurs mots quand ils les cachent sous d'autres mots. Mettons-les face au mur de leur vision du monde, qui nous mène au néant, rappelons-leur sans faillir qu'ils ont conduit le monde à l'agonie Qu'ils ont brûlé le monde l'ont pillé et détruit Qu'ils ont tout sacrifié des valeurs humanistes, à la soif du profit, à ses satisfactions viles".


LE CHANT de la SAINTE NOIRE CHIMPA MVITA , la belle Dona Beatriz

le chant de Chimpa est le chant créateur, et ce chant devient celui de l'auteur.
Ce chant m'apparaît comme la clé de son livre
C'est à cause du Bébé, et puis parce qu'elle était bonne et pure, qu'elle fût exécutée. C'était le deux
juillet 1706. Elle brûla sur le bûcher, comme une sorcière.
J'ai écrit ce livre pour ceux qui voyagent par amour. J'ai écrit ce livre dit encore Philippe Pratx pour ceux qui marchent dans l'amour, pour qu'ils créent un abri, et qu'ils puissent aimer la vie.

"Et je savais déjà que le Christ était noir
Antoine était mon guide en ses contrées mystiques
Je savais que le Mal me détestait déjà
Et aujourd'hui ils feront feu de mon corps
Mais moi je m'élèverai vers le soleil
Avec la senteur des frangipaniers
Et le cri rauque des lions en rut."
P 76

"Il faudrait une pirogue pour traverser mes larmes" car "l'homme est en exil de sa mémoire." P78


UN VOYAGE où il RETROUVE ses LIVRES.

Quand il lance page 89 cette nostalgie presque enfantine, « Jamais je n'ai connu la floraison du réséda / Si ce n'est de la lire en des pages de livres » ce sont les souvenirs d'enfant, gravés dans sa mémoire, qui livrent l'origine puissante de son goût pour les mots.
Avant d'établir sa maison, il faut qu'il accomplisse l'ultime confrontation, de son livre à ses lectures passées. Philippe Pratx cite, en vrac :les incunables, le livre plat et rond des Bouchers de Raong, les crachats bourdonnants des Dernières Dynasties, le Livre des Cataractes Sans Fond et le Nécronomicon de Lovecraft...

Oui, la voici, qui me vient par brèves crises, LA NOSTALGIE. "Le souvenir de la bibliothèque participe de ce mal. Et quand il m'arrive– de dire,en gueulant au milieu des foules, les poèmes qui suivent, ce n'est pas tant la morsure des mots que j'en attends, mais la sensation, sous la
langue, du grès rose où je les ai décryptés, le picotement qui peu à peu possédait mes narines
lorsque je suis resté des nuits à vouloir les reconstituer."

«La Contrerime» de Paul Toulet et « Après la mort de l'artiste » de Jiuseppe Cantarini, sont mes favoris. «  Là, le grain de la roche et le grain de la poussière ne font qu'un avec les mots, je les
respire et je les mange autant que je les dis. ».

Comment juxtaposer une prose à ces folles nostalgies ? Seule la lecture des derniers poèmes vous donnera des frissons, au jeu des mots lissés sur les lèvres.

"Couché au pied de la murette
Pour y avoir de l'ombre
Le ciel est à l'envers
Comme un rêve où l'on flotte
Parmi les cerisiers"

C'est là au fond d'une mine d'Or qu'il rencontre Morel, "deux yeux de candeur ensanglantée".

Alors au terme de cette marche folle à l'abri d'un simple tronc, Philippe Pratx établit sa demeure, pour mettre au jour l'enfant qui est en lui, renaître pour un monde meilleur.
"C'est donc là, dans la forêt, que j'ai décidé de construire ma maison, vaste tronc creux, et mon jardin"
p145

Oh Quelle audace ! Oui j'aurais aimé avoir cette vision,
et assez de ténacité pour la mener.
Commenter  J’apprécie          232



Ont apprécié cette critique (22)voir plus




{* *}