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Critique de Korylle


Parmi toutes les formes de littérature, la poésie a toujours été le mode d'expression des damnés. C'était vrai au XIXème siècle, même si le lectorat et les cercles permettait aux plus talentueux de garder la tête hors de l'eau et de survivre de leur art, et encore plus vrai dans les années 1950. Ne parlons même pas d'aujourd'hui où la masse vulgaire, cramponnée à une télécommande de téléviseur ou à une manette de jeux vidéo ne sait même plus écrire correctement son prénom et ignore totalement l'usage d'un point-virgule.
Jacques Prevel a navigué entre deux eaux et, son recueil de poème la plus connu des trois dont il fut l'auteur, "De Colère et de haine", n'est pas son travail ayant marqué le plus les esprits. En effet, plus qu'écrivain, Jacques Prevel a surtout été connu pour avoir été l'ami proche d'Antonin Artaud. Et c'est d'ailleurs le journal qu'il a tenu de cette période de sa vie, qui est devenu un livre, "En compagnie d'Antonin Artaud", qui marquera les mémoires et le feront entrer dans la postérité. Mais, il faut bien l'admettre, cet ouvrage a surtout valeur de pièce biographique d'Antonin Artaud que de réel travail littéraire.
On peut dire aujourd'hui qu'en matière littéraire, l'élève est resté piégé dans l'ombre de son maître.
L'histoire, en elle-même, est assez sombre dans ses dessous. Lorsqu'Antonin Artaud est sorti de l'asile d'aliéné de Rodez, grâce au concours d'une communauté d'écrivains et d'artistes, Prevel demande à Marthe Robert de le présenter. En effet, Prevel avait entretenu une correspondance avec Artaud alors que ce dernier était encore sous contrainte médicale et lui avait envoyé quelques-uns de ses poèmes, et il espérait que l'une des lettres élogieuse du grand poète maudit puisse servir de préface à l'un de ses recueils. Cela ne se fit jamais. Mais en revanche, les deux hommes devinrent amis et, d'une certaine manière, complices. Artaud se servait de Prevel pour que ce dernier lui procure du Laudanum, une teinture alcoolique d'opium dont il était fortement dépendant. A défaut, il parvenait à le fournir en élixir parégorique qui parvenait à pallier, mais à plus forte dose, le poison de prédilection du poète.
Marthe Robert et Adamov, ayant remarqué le manège, tentèrent d'interdire Prevel d'entrer en contact avec Artaud. Mais malgré ça, les deux hommes sont toujours restés en contact, leur relation tournant toujours autour de la poésie et des opiacés, et pas forcément dans cet ordre. Naviguant entre chez sa femme et chez sa maîtresse, toujours flanqué d'Artaud, Jacques Prevel passait des heures à retranscrire des improvisations poétique de son maître, pouvant survenir n'importe quand et n'importe où, obligeant même parfois Prevel à mettre sur papier après coup, de mémoire, certains des plus beaux mots du poète.
Mort à 36 ans, d'épuisement moral et de la tuberculose, peu de temps après le décès d'Artaud, Prevel a quitté ce monde cinq ans jour pour jour après sa rencontre avec celui qui aura été son mentor et pour qui il aura joué le rôle de scribe dans les dernières années de sa vie.

Ghislain GILBERTI
"Le Cabaret du Néant"
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