Franz Kafka : Lettres à Felice avec Marthe Robert (1972 - Un livre, des voix / France Culture). Émission "Un livre, des voix". Production de Pierre Sipriot. Réalisation de Bronislaw Horowicz. Avec la participation de Marthe Robert, critique littéraire française (25 mars 1914 - 12 avril 1996). Diffusion sur France Culture le 16 juin 1972. Photographie : Franz Kafka et sa fiancée Felice Bauer en 1917 ©. Getty - Mondadori Portfolio. Lectures de lettres de Franz Kafka par Jean Négroni. En 1972, paraissaient aux éditions Gallimard les "Lettres à Felice" de Franz Kafka. À l'occasion de cette parution, Pierre Sipriot et Bronislaw Horowicz proposaient un numéro de "Un livre, des voix", consacré à cette correspondance présentée par sa traductrice, Marthe Robert. Depuis sa rencontre avec elle en 1912, jusqu'au mois d'octobre 1917, Franz Kafka écrivit plus de cinq cents lettres à Felice Bauer. Kafka se fiança deux fois avec cette jeune Berlinoise avant de rompre définitivement. De cette liaison amoureuse dont l'issue provoquée par lui-même pesa sans doute dramatiquement sur sa santé et les dernières années de sa vie cette monumentale correspondance est un témoignage au jour le jour, quasiment heure par heure, traduisant toute la complexité de la relation qu'entretenait Franz Kafka avec les femmes et avec le mariage. La publication tardive de ces lettres offrit aux lecteurs de Kafka une source nouvelle de lumière sur son uvre et sur son existence d'écrivain.
Source : France Culture
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Le déclin du langage est apparemment un phénomène chronique de l’histoire, qui suscite les mêmes plaintes à chaque génération.
Le roman se distingue de tous les autres genres littéraires, et peut-être de tous les autres arts, par son aptitude non pas à reproduire la réalité, comme il est reçu de le penser, mais à remuer la vie pour lui recréer sans cesse de nouvelles conditions et en redistribuer les éléments.
Je devrais être très affectée par l'énorme masse de livres à lire, que je n'ai pas lus, et pourtant je ne le suis pas, car pour les uns, c'est trop tard de toute façon, pour les autres il sera toujours temps, et pour beaucoup enfin, je me console facilement de les ignorer en considérant tous ceux que j'ai sans cesse envie de relire, et que je relis en effet quelquefois jusqu'à la nausée.
Les grands livres changent la vie, les bons l'éclairent, les mauvais l'attristent non seulement parce qu'ils sont mauvais, et qu'ils prolifèrent, mais parce qu'ils ont toujours quelque côté par où l'on pourrait les avoir écrits.
Or à en juger par la volumineuse littérature spécialisée, c'est exactement le contraire qui se produit : plus le genre vieillit et s'étend, en accentuant encore son caractère foisonnant, insaisissable, anarchique, et plus on éprouve le besoin de lui dicter des règles de conduite, une discipline, une morale -, bref de forcer sa nature en restreignant, quand ce n'est pas en niant sa liberté. (p.25)
Comme je n’en finis pas de m’interroger sur la littérature et, surtout, sur les rapports exacts des choses écrites avec la vie, je me propose de consigner ici, dans une sorte de journal non daté les remarques et les questions qui me viennent à l’esprit en relation avec ce que je lis, sans tenir compte du genre des textes ni même de leur qualité.
2ème Idée : Le roman est un genre renié, il est discrédité, les lecteurs de romans sont honteux d’en lire.
Il est encore dans un tel discrédit que Daniel Defoe, qui passe pourtant pour lui avoir donné son premier élan, récuse par avance toute assimilation de son chef-d’œuvre à ce sous-produit de la littérature, qu’il juge tout au plus » bon pour les goujats », et condamné en somme par son public.
A l’en croire, Robinson Crusoé doit être tenu pour une histoire vraie, alors que le roman est un genre faux voué par nature à la fadeur et à la sensiblerie, fait pour corrompre à la fois le cœur et le goût.
Ce jugement péjoratif n’avait d’ailleurs rien de nouveau; au siècle précédent il obligeait les gens de qualité à se cacher pour lire leurs livres favoris, ceux-là mêmes qu’ils déclaraient publiquement indignes des lettrés. Il règne encore dans l’esprit de Diderot, lui aussi romancier honteux, comme il paraît dans Jacques le fataliste, où il démonte les procédés habituels de la narration romanesque de manière à faire apparaître leur part énorme d’arbitraire et de convention. Le philosophe est même tellement prévenu contre le roman que dans l’Éloge de Richardson, où il est pris entre son admiration pour le romancier et le dédain du genre qu’il illustre, il va jusqu’à demander un autre nom pour les ouvrages de cet auteur, celui de roman étant trop bas pour les désigner.
Le degré de réalité d'un roman n'est jamais chose mesurable, il ne représente que la part d'illusion dont le romancier se plaît à jouer.
Comme tout homme, Freud avait hérité la morale de son milieu familial et de la petite bourgeoisie dont il était issu -- morale à la fois simple et rigide où le Bien se résumait en une répression des instincts, et où le mal coïncidait presque entièrement avec la liberté ou la licence des mœurs. Quand l'étude des névroses le conduisit à découvrir les principes fondamentaux de la psychanalyse, il avait quarante ans, sa jeunesse était passée, sa vie d'homme, sinon sa pensée, depuis longtemps engagée dans une voie qu'il n'avait aucune raison de renier.(...). Comme toutes les grandes choses, les idées de Freud ont été durement gagnées sur les préjugés, les peurs, le conformisme.
C'est pourquoi la cure analytique a une ligne de conduite toute tracée, quelque cas qu'elle doive traiter : il lui faut fortifier le Moi, afin de le mettre à même d'imposer son ordre aux deux puissances obscures et rebelles. Discipliner et contrôler le chaos du Ça ; réduire les exigences du Surmoi à une mesure raisonnable, c'est là tout le travail de l'analyse, un travail, dit Freud, qui n'exige pas moins de dépense que l'assèchement du Zuyderzee ou n'importe quelle tâche ardue de l'humaine civilisation.