AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de lanard


Ça commence plutôt mal, incipit : « Comme tout monde humain, mais plus qu'aucun autre peut-être, notre monde est un monde en manque de sens. La demande de sens y est donc d'autant plus acharnée. » Par « monde humain » on comprend qu'il s'agit en fait de « vision du monde par une culture particulière » puisqu'il est implicitement admis une pluralité des « mondes humains » (comme tout…). « Notre monde », c'est donc, pour aller vite, la vision du monde de l'Occident capitaliste avec sa libido technophile, sa rage consumériste et sa froideur scientiste. Et ce monde là serait, « plus qu'aucun autre », en quête de sens. Ce « plus » relèverait de la maladie ; la phrase suivante parle de symptômes. Immédiatement la science dite positive (comme pour évoquer le spectre d'Auguste Comte) est mise en accusation. Et de citer Luc Ferry, qui doit s'y connaître « La prétention à fonder la pratique dans l'objectivité d'une science de la nature ou de l'histoire s'est toujours soldée par des catastrophes humaines ». Trois paragraphes plus loin l'écologie est soupçonnée, à juste titre, d'être le nouvel avatar d'un scientisme redonnant « sens » à l'action humaines susceptible de « remobiliser d'intrépides et peu critiques vocations militantes ». Ainsi tout homme occidental serait en quête de sens ; il se sentirait si aliéné au monde qu'il a besoin de lui trouver un sens. Sens: voici un mot qu'on galvaude toujours dans l'angoisse parce qu'il est toujours périlleux de s'intéresser à son sens sans avoir des vertiges. Mettre en relation cette histoire de sens avec l'activité poétique va presque de soit. le travail poétique peut être conçu comme un travail – au sens de torture - qui mettrait à l'épreuve une langue dans sa capacité ou son incapacité à nous rapprocher du réel c'est-à-dire de sa capacité à faire sens. Les mots changent de sens et les sens changent de mots à écrit quelque part Jean Paulhan ; celui qui lit des textes en français médiéval le sait bien. Pour ma part je suis porté à voir la poésie comme une sorte de gymnastique destinée à assouplir la langue pour lui conserver une capacité d'adaptation à un réel en perpétuelle évolution. Que cela produise parfois du beau, nul ne s'en étonnera ; la gymnastique de haut niveau c'est beau ; les jeux antiques des anciens grecs couronnaient les poètes autant que les athlètes. Mais, de ce point de vue, parler de « quête de sens » est-il bien inadéquat ? Quête de sens et justification de la pratique de la poésie ne me semble pas aller ensemble. D'autant plus que je ne croit vraiment pas qu'il y ait des hommes en quête de sens (sauf pour prendre la pose). Qu'il existe dans la plupart des sociétés humaines une caste de clercs, voués à fonder et à justifier par le truchement de l'art du discours (oral ou écrit) un ordre social généralement aussi pénible à une majorité frustrée qu'elle est confortable à une minorité nantie, et que les poètes furent pendant longtemps de cette caste là, protégée par les puissants (qu'on appelle alors des mécènes) ; de cela je ne doute pas. Mais qu'il faille assimiler ce travail de doreur de pilule à celui de Grand Prêtre du Sens me paraît abusif. Mais reconnaissons d'abord à Christian Prigent qu'il ne commet pas cet abus. Pour lui, ayant prit acte du fait que les poètes d'aujourd'hui ne sont plus du côté du pouvoir, qu'ils ne forment plus qu'un petit cénacle fermé et sans influence, pour lui, le poète aujourd'hui n'est plus un doreur mais un gratteur de pilules. Les technocrates et l'idéologie scientifique ont pris le relais pour appliquer la dorure ; le poète, par sa connaissance affinée du langage gratte la langue de bois qu'on ne dore plus à la feuille mais au Ripolin « façon or ». La Révélation du poète se contente aujourd'hui - très modestement au fond - de mettre tout un chacun en face de la précarité de sa condition.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}