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Citations sur Un enterrement et quatre saisons (5)

— Pouvez-vous nous dire qui était Christophe ?
Mais pourquoi je leur dirais quoi que ce soit sur toi ?
J’essaie. Je respire. Je croise les bras pour me donner une contenance. Je vais forcément dire quelque chose. Quelque chose va sortir de moi… Mais quoi ? Je sens que ça vient.
— Mais en fait, pourquoi vous voulez le savoir ?
Pas vraiment la réponse qu’ils attendaient… Mais pourquoi je reste sur la défensive ? Pourquoi je les agresse ? Je suis sûre que si tu me vois, tu te marres… Calme le jeu. Redeviens sociable, Nathalie. Sans eux, personne pour faire la cérémonie. Tu voulais pas de curé. Tu dois faire avec ces deux-là. On refait pas les équipes. Allez, Nathalie, tente autre chose. Dis-leur ce qu’ils veulent entendre… Tu dois quand même en être capable ?
— Il était professeur de philosophie. Un excellent père, un mari fidèle, un…
Encore une pause. Je réfléchis. Le couple se regarde, espérant peut-être que je vais lâcher du lest, leur faire des confidences, me mettre à fondre en larmes et leur reprendre la main… Je me ressaisis.
— Si vous voulez mieux le connaître, c’est pour parler de lui, n’est-ce pas ?
— Oui, nous savons d’expérience que vous ne pourrez pas parler de Christophe le jour de la cérémonie. C’est beaucoup trop difficile. Je ferai moi-même le discours d’hommage au défunt. Je suis compétent en la matière. Nous avons fait des dizaines d’enterrements… Je parlerai pour vous, et je dirai qui était Christophe, ce qu’il a fait.
Silence.
Jamais de la vie il ne dira un mot. Il n’articulera pas une syllabe. Il n’ouvrira même pas la bouche. C’est mon mari.
— Écoutez… C’est moi qui le connaissais le mieux. J’étais son épouse. Je le connais depuis que j’ai dix-sept ans, et on ne s’est jamais quittés. Ça fait trente ans. C’est donc à moi de faire ce discours.
— Ce sera très dur. D’expérience, nous savons que vous n’y arriverez pas…
— J’y arriverai.
Je me crispe.
— Bon, de toute façon, vous nous donnerez au moins quelques éléments par écrit afin que je puisse me substituer à vous si vous craquez.
Craquer ? Ça veut dire quoi ? Comme une noix qu’on place dans un casse-noix et qu’on écrase ? Mais moi, je ne suis pas une noix ! Alors, je ne craque pas…
Silence, encore.
— D’accord, faisons comme cela, mais je sais que personne ne parlera à ma place… Et sûrement pas vous, pardonnez-moi, c’est un peu blessant. Pas vous qui ne le connaissiez pas…
Une pause. Qui me paraît durer deux heures. Les deux se regardent, étonnés que je ne leur lâche pas le morceau, que je reste droite sur ma chaise. Pas de larmes. Plus de larmes… Étonnés que je ne m’effondre pas…
Je reprends, pour casser ce silence et ces échanges de regards surréalistes :
— Combien de temps puis-je parler ? Un quart d’heure ?
Le couple se met à rire, carrément, avec un air entendu, le petit regard en travers, oblique, qui sépare. C’est comme si je leur avais dit que l’enterrement allait se dérouler sur la Lune…
— Non, non ! On vous arrête tout de suite ! Au bout de cinq minutes, les gens n’écouteront plus. Cinq minutes, vous avez cinq minutes. C’est déjà beaucoup trop. Les enfants pourront dire un mot aussi, s’ils le veulent. Y aurait-il quelqu’un d’autre qui voudrait parler ?
— Je ne sais pas. Je vous dirai. Je demanderai aux enfants…
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Je te récite le début de la nouvelle de Gautier “La morte amoureuse “: “ Vous me demandez, frère, si j’ai aimé; oui. Oui, j’ai aimé comme personne au monde n’a aimé, d’un amour insensé et furieux, si violent que je suis étonné qu’il n’ait pas fait éclater mon cœur “
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INCIPIT
30 décembre 2017,
premier jour du reste de ma vie

Derrière la porte
Il est 5 heures. La nuit est absolument noire. De l’encre. Du goudron. Un noir mat. Je ne me rappelle plus si dehors il pleut. Ou s’il y a du vent. Ou s’il fait froid. Oui, sûrement, il fait froid. Il ne peut pas en être autrement. Un froid glacial même. Un froid de début d’hiver.
La chambre est à peine éclairée. Ce n’est pas le clair de lune qui nous éclaire. Non. Ce n’est pas ça. Je me rappelle. C’est la lumière du couloir qui passe, un peu, sous la porte, et la veilleuse, qui fait un petit bruit détestable. Un bruit d’insecte mécanique. Un bruit de misère, aussi, un peu.
Alors je te vois et je te regarde.
Tu es tellement beau. Je ne me lasse pas de te toucher, de t’embrasser, de passer ma main sur ta tête. Tu es là, et je me remplis de toi.
Je me dis que quelqu’un pourrait rentrer, là, à tout instant, nous surprendre dans ces baisers, dans ces caresses. Dans mes chuchotements. Mais ce ne serait pas vraiment grave, n’est-ce pas ? On est comme ces amoureux qui se frottent sur les bancs publics, tout près, si près. Ces amoureux qui exhibent leur amour. Oui, après tout, cela ne serait pas grave du tout.
Je te chuchote que je t’aime et que je suis là, pour toujours. Je te chuchote que je voudrais que cet instant dure, se prolonge, s’éternise. Je voudrais toujours sentir ta peau sous mes doigts. J’entends le bruit des larmes sur l’oreiller. Un petit ploc mat et creux, un petit bruit de rien du tout, qui finit presque par disparaître, parce que, sur le tissu mouillé, les larmes s’écrasent en silence. Mais la petite tache d’eau salée s’agrandit.
On est comme dans une de ces nouvelles que je te lisais, le soir. On est dans une histoire d’amour fantastique de Gautier, de Poe ou de Rodenbach. Oui, voilà, je suis dans une de ces histoires. Ça ne peut pas être mon histoire. Je te regarde et je te lis. Je suis passée dans un conte cruel. Je lis Villiers de L’Isle-Adam. Je suis mise en abyme.
Je te récite le début de la nouvelle de Gautier, La Morte amoureuse : « Vous me demandez, frère, si j’ai aimé ; oui. Oui, j’ai aimé comme personne au monde n’a aimé, d’un amour insensé et furieux, si violent que je suis étonné qu’il n’ait pas fait éclater mon cœur. » C’est ce que dit le moine, Romuald, à l’un de ses frères en religion. Il lui parle pour lui dire de ne pas succomber à l’amour d’une femme, pour le mettre en garde. Mais il n’est pas crédible. Ses paroles se déversent sans pause, d’une traite, sans s’arrêter. En face de lui, l’autre n’a pas le temps d’en placer une. On ne l’entend pas. Et toi, d’ailleurs, tu ne dis rien non plus. Tu écoutes. Plein de silence.
Alors je reprends mon histoire. Tôt ou tard, Romuald devait dire son histoire. Comme je dois raconter la mienne. Il devait la faire sortir de lui. Parce que l’amour le brûle toujours. C’est un récit de la brûlure amoureuse. Il n’a plus Clarimonde, alors il la raconte. Un requiem, un chant d’amour. La seule chose qui lui reste, c’est la parole. Il faut ressusciter Clarimonde, lui offrir un tombeau. Un tombeau de mots. Qui dit que l’amour est plus fort que la mort, et qu’il finira par la vaincre.
Alors oui, c’est ce que je te raconte, là, maintenant, dans cette chambre blanche où manquent, sur les murs, des miroirs et des tableaux. Je lève les yeux. Je regarde la pièce autour de moi, à la lueur de la veilleuse qui clignote. J’ai un crochet dans le ventre. Tu le sais, ça ? Un putain de crochet qui ne me lâche pas. Un nid de douleur.
À quel moment dans ma tête je me dis que j’ai encore de la chance d’être avec toi ? Là, maintenant. Mais que tout va s’éteindre ! Pas les néons du couloir. Non, ceux-là, ils ne s’arrêteront jamais. Ils seront là pour d’autres couples qui se séparent, d’autres histoires qui s’arrêtent, d’autres ruptures indicibles. Non, ce qui va s’éteindre, ce sont ces moments de toi, ces caresses, cette douceur, ce temps suspendu. Je me serre contre toi. Tu deviens de plus en plus froid sous mes doigts. Je voudrais te réchauffer, mais en vrai, ça ne sert à rien. Tu ne bouges pas. Je voudrais enlever la nuit dans tes cheveux. Mais elle s’accroche. Alors je m’allonge sur ce petit lit qui fait un bruit métallique. Sur ces draps jaunes. Oh ce jaune ! Il me renvoie à ces sept années où je suis venue dans d’autres chambres, toutes pareilles, et toujours avec les mêmes draps jaunes. Et pourtant, enveloppée dans la laideur de cette chambre sans soleil, à côté de toi, je crois que je suis bien. Oui, quelqu’un pourrait entrer. Mais on s’en fout un peu, là, non ?

Alors j’ai eu une envie. Folle. Déplacée. Mais qui m’a submergée. Une envie de toi, de garder en moi cette image, pour qu’elle ne disparaisse pas de moi. Je n’ai pas assez confiance en moi. Je t’aime, cela est sûr, mais je sais que cette image va finir par disparaître. Vois-tu, quand je serai vieille. Mon corps va t’oublier. Ma mémoire va te trahir. Mais je ne la laisserai pas t’oublier. Je veux pouvoir te regarder sans relâche et quand je veux. Je fais ce que je veux. Je le fais parce que je le veux.
Alors, après avoir couvert ton visage de baisers et de larmes, après avoir bu ma honte, j’ai allumé la lumière de la chambre, une lumière inhumaine et barbare. Des néons d’hôpital. J’ai sorti mon portable de ma poche et j’ai fixé ta dernière image pour mon éternité. Pas de retouches. Toi à jamais suspendu dans le temps.
Je suis un monstre.
Je ne serai plus jamais la même.
Son herbe à soi : la concession
Il y a quelques années, mon neveu a offert à Anselme, mon fils aîné, un cadeau « original et personnalisé », un petit bout de terrain des Highlands écossais qui lui permettait en sa qualité de propriétaire de devenir Lord1. Un petit bout de terre de rien du tout : 0,093 m2 exactement, et la possibilité de savoir que l’on a son herbe à soi, son petit coin d’ailleurs, son utopie. Eh bien pour moi aussi, c’est fait, je l’ai, mon petit coin de terre. Pas très grand. Juste un mètre sur deux. Avec une terre bien noire dans un espace arboré, plutôt calme et tranquille. J’ai pris une concession « cinquantenaire », comme moi, qui vais sur mes cinquante ans, histoire de faire la paire. On verra où j’en suis dans cinquante années. Là, pour moi, c’est carrément de la science-fiction. Et puis, les quatre enfants en hériteront, en indivision, quand l’heure sera venue. Un mètre sur deux, c’est beaucoup plus qu’un pied carré à Glencoe Wood et puis l’avantage, pour moi, c’est que c’est tout droit, à moins d’un kilomètre de la maison. Pratique pour aller se balader… Ce lieu a reprogrammé mon centre de gravité. Le centre de gravité, appelé G, est le point d’application de la résultante des forces de pesanteur. Mon corps est dépendant de ce point. Il m’attire et m’enferme, bouleversant mes repères et mon équilibre. La loi de l’aimantation.
Et c’est quoi cet espace, au juste ? De la terre à peu près meuble… Je dis à peu près parce qu’on n’y ferait pas pousser des carottes ni même des radis. Il faudrait une terre plus sableuse, plus fine. Mais c’est quand même une terre correcte, qu’on peut émietter avec la main, sans trop de glaise ni de silex. Et autour de la terre, des petits graviers. Des petits graviers tout gris et tout moches, tout proches aussi, d’un autre petit rectangle de terre tout pareil au mien, mais qui, lui, déborde de fleurs coupées, de fleurs colorées, de fleurs qui embaument et avec des rubans partout et de toutes les couleurs, comme on mettrait sur une voiture pour aller à un mariage. Et puis après les fleurs, les petits cailloux, encore, et puis les fleurs, et plus tu remontes la petite allée, tout doucement, plus tu t’aperçois que les lots de terre d’un mètre sur deux font place à des plaques noires ou anthracite, bien propres, et qu’il y a de moins en moins de fleurs et de moins en moins de couleurs, et que les rubans disparaissent. Et puis, encore plus loin, il y a de la mousse sur les petits coins de terre, et des orties qu’il faudrait arracher, avec des vases qui ont fini par se détacher de leur socle, et qui n’attendent plus de fleurs. Et puis il y a ces mots qui vont par groupes de trois, toujours impairs : « À notre papa », « À notre ami », « À notre fils », des mots qui pleurent, emmurés dans le silence et dans le gris. Des mots par-ci et des mots par-là, des mots immobiles et inconsolables, posés là pour l’éternité. Enfin, du moins pour quelque cinquante ans ! Parce que quand il s’agit de sa mort, on a du mal à envisager plus loin que le bout des cinquante ans de la concession qu’on a signée. On signerait n’importe quoi à ce moment-là. Pour avoir ce petit lopin de terre qui nous appartient comme rien dans notre vie ne nous a appartenu. Ce petit monde de deux mètres carrés avec lequel on fera corps, un jour.
Mon amour, ce terrain est à nous. Tu as gravi les plus hautes montagnes et tu es arrivé au sommet. Et tu y es resté. Tu n’es pas redescendu dans la vallée, avec les vaches bariolées et les mouches bourdonnantes. Tu as fui l’universel reportage du monde et tu m’as bien plantée là. C’est vrai, je n’ai pas eu le courage de faire la balade avec toi, mais je viendrai te rejoindre aussi souvent que possible, demain dès l’aube ou peu s’en faut, parce que les grandes grilles du cimetière ne s’ouvrent pas si tôt !
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Je vois mon jardin et mes fleurs qui poussent sur toi. Je vois les roses qui embaument et le Cœur de Marie qui se secoue au vent. Je vois les buis qui te dessinent. Je ne viens pas me recueillir. Je viens pour te cueillir. Je te recueille au creux de ma main. C’est comme ça que je te parle, maintenant que je te garde en vie, pour moi, égoïstement, toute seule, triste à mourir dans ce désert d’âmes, dans ce désert de marbre où, sous le tombes, les morts attendent qu’on le rejoigne.
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Tu n'as rien trouvé de mieux que de me raconter ton mariage ? Je te rappelle que je viens parce que j'ai perdu mon mari. Que je suis veuve ...
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