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Critique de djdri25


C'était la chronique que je souhaitais écrire pour célébrer la 300e sur Babelio en hommage à l'un de mes romanciers préférés du 20e siècle, celui qui m'a décidé, dans ma jeunesse, à aller plus loin en littérature, du moins pour l'étudier, voilà qui est fait.
Bien que J'en avais gardé un très bon souvenir de lecture, je ne me décidais jamais à chroniquer La Recherche du Temps Perdu pourtant j'avais des velléités.
C'est un roman que j'ai lu il y a de cela bien longtemps, trop longtemps et cela me faisait peur, j'ai alors sauté sur l'occasion d'une lecture commune proposée au mois de mai et dont le compte rendu sous la forme d'un goûter (thé) final pour juillet par@4bis et d'autres « Babelionautes » très sympathiques pour me replonger dans un des tomes phares de la Recherche.
Nous avons eu des échanges d'impressions sur le roman au fil de la lecture partagée, ce qui l'a rendue encore plus vivante et chaleureuse, plus dynamique aussi et plus sympathique, j'ai fait de belles rencontres lors de cette lecture, cela m'a fait plaisir de faire leur connaissance.
J'espère que nos chroniques se complèteront tant l'oeuvre et l'écriture sont belles et riches (c'est mon avis) mais aussi complexes et que l'on dégustera avec plaisir les petits gâteaux tout en sirotant un thé délicieux sans lever le petit doigt cependant.
J'ai l'impression que Marcel Proust a fait couler et en fera encore, pour un temps, couler beaucoup d'encre.
Dans le roman -A l'ombre des jeunes filles en fleurs- On retrouve le jeune narrateur de du côté de chez Swann, (tome 1 de la Recherche), le présent livre en constitue le second opus, publié en 1919. La même année, il est couronné par le prix Goncourt .

Ce n'est pas une véritable autobiographie comme il y parait au premier abord, pas de pacte, le narrateur s'appelle bien Marcel comme l'écrivain mais tous les noms de personnages de la Recherche ont été modifiés. Lorsque l'on connaît la biographie de l'auteur et les personnages qu'il évoque, bien des choses diffèrent de ce que l'on lit dans la Recherche. Cependant, une grande part de la réalité travestie par la fiction est entrée librement dans l'oeuvre, et il arrive que l'on ne puisse pas distinguer l'un de l'autre tellement le narrateur s'ingénie à brouiller la frontière entre réalité et fiction et à nous promener dans son oeuvre par des subtils procédés d'écriture et de narration.
Eh oui ! C'est une partie de cette Recherche et de ce temps perdu qui se sont (re)déployés sous mes yeux et mes oreilles (lecture audio, merci Sandrine) cet été, un été avec Proust.

Tout d'abord, l'un des éléments du texte qui rend l'oeuvre complexe, c'est, d'après mon expérience personnelle de lectrice, l'énonciation ; notamment dans le premier chapitre de la première partie du livre, les incursions libres et incessantes du narrateur, les glissements subtils d'une idée, d'une pensée à l'autre, des liens hors du commun entre les idées et les réalités peuvent rendre la lecture inconfortable et la métaphore impossible, l'image et la pensée difficile à saisir, j'ai bien cru passer à côté de la compréhension du texte et cela dès le début ; je ne savais plus qui disait ou qui pensait quoi, une fois le texte relu et les procédés repérés, le texte est plus lisible.
La difficulté est accrue par la syntaxe propre à l'écrivain, les phrases sont complexes, longues, digressives, non linéaires, arborescentes, l'idée de départ peut être énoncée plusieurs pages après son introduction et après de nombreux apartés, lui retombe sur ses pattes tandis que pour nous ce sont des sauts périlleux.
La lecture de ce type d'écriture demande donc une grande attention pour les lecteurs d'aujourd'hui, la compréhension de cette situation d'énonciation de départ particulière conditionne la compréhension d'une bonne partie du reste de l'oeuvre.

Au passage, je ne me souviens pas avoir lu la première partie des Jeunes Filles en fleurs, je n'avais retenu que la seconde partie, c'est curieux.

Cette complexité de l'énonciation, de l'écriture et du style proustien, me semble-t-il, ne fait que refléter la complexité des méandres de l'âme humaine que le narrateur s'amuse à analyser dans les moindres détails, son hypersensibilité et sa lucidité doublées de capacités d'observation des détails hors du commun le lui permettent.
Cela lui permet d'aboutir à une certaine réflexion générale sur la psychologie et les agissements contradictoires de l'être humain en partant des personnages fictifs fortement caractérisés, caricaturaux voire manichéens, souvent, c'est le cas, lorsqu'il dénonce les travers et l'absurdité de certains personnages ; pour n'en citer que quelques-uns, vanité d'une Madame de Villeparisis qui préfère les mondanités à l'art et à la culture, la légèreté d'Odette est agaçante, la laideur de l'écrivain Bergotte contredite par le talent que lui accorde le narrateur dans cet opus nous fait rire et réfléchir , le portrait physique de ce dernier est frappant, on a du mal à se le représenter tant il est décrit de manière satirique et excentrique, c'est aussi la chute de Swann lorsqu'il se marie avec Odette, qualifiée de cocotte par « le boutonné » Monsieur de Norpois, pourtant Swann représentait auparavant pour le narrateur le summum en matière de connaissance d'Art et de culture, les deux domaines de prédilection du narrateur, la lutte des classes est-elle en germe ? le baron de Charlus est excentrique et théâtral et risible, Bloch est vaniteux, toute cette galerie de personnage est délicieusement mise en scène dans le roman.
Mais le narrateur sait aussi placer ses personnages au-dessus de tout, il sait nous les rendre sympathiques et les sublimer, ils sont parfois divins lorsqu'ils les apprécient fortement ; c'est la grand-mère aimante et attentionnée et taquine, Un Saint Loup fin et intelligent, les jeunes filles, belles, élevées au rang de déesses et de statues issues d'oeuvres d'art lorsqu'elles ne sont pas qualifiées de prostituées l'instant d'après, ici, c'est tout l'art de l'écriture antithétique de Proust qui se déploie et rend les personnages mouvants, instables, antithétiques, parfois insaisissables ou même syncrétiques, à l'instar d'un peintre impressionniste, au gré des oublis, de la mémoire, du souvenir déformé par la subjectivité et de la vision défaillantes, des illusions, du travail du Temps.Ll'oubli et le souvenir se juxtaposent.
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C'est ainsi que l'écrivain crée des personnages fortement caractérisés en les rendant inoubliables tant ils sont criants de vérité, il procède souvent par antithèses pour relever le caractère contradictoire des personnages protéiformes, et par là de l'être humain, c'est presque la folie et l'absurde, la vanité qui dominent de nombreux personnages et on en rit parfois, d'autres fois, avec le narrateur, on les apprécie ou les déteste. On n'oublie pas également que nous sommes à l'époque du développement de la psychologie et de la psychanalyse. le réel dont elle ne peut se passer entre dans la fiction, la fiction pointe du doigt le réel. Bien que l'on distingue bien les personnages de papier proustiens bien croqués et tout en antithèses, des objets littéraires en somme.
-A l'ombre des jeunes filles en fleur- est aussi un roman d'initiation du jeune narrateur, initiation à l'écriture avec l'influence de M de Norpois et Bergotte, à l'amour de l'Art, du théâtre, de la peinture, d'ailleurs les jeunes filles comme certains autres personnages, semblent tout droit sortis parfois d'oeuvres d'art analysées, aimées, longuement et finement observées. Leur description physique est très imagée. On les voit comme on verrait un tableau par petites touches impressionnistes, notamment les jeunes filles qui semblent intouchables et irréelles ; au premier abord, elles sont éthérées et forment un groupe indistinct, selon le narrateur pour ne lui apparaître distinctes les unes des autres que bien plus tard, c'est toute la manière du narrateur de voir ainsi les choses, de l'informe sort la bonne forme.
L'initiation à l'amour aussi est fortement présent, bien sûr, dans ce tome à celui des jeunes filles, après la déception et la souffrance avec Gilberte qui se dérobe, une Gilberte interdite, irréelle, c'est tout comme Swann qui souffre auprès d'Odette.
Ah le traitement de l'amour, avec le plaisir et le désir exclusifs, maladifs, obsessionnels, insaisissables, irréels, fantasmés, inaboutis et qui restent à l'état de rêve, de fantôme et de fantasmes, les femmes sont trop fuyantes. On y voit les amours platoniques d'un narrateur timoré, bien trop cérébral, qui touchent les personnages par simples jeux de mains innocents et surtout ratés, qui souffre des affres de la passion amoureuse. On voudrait que les choses se réalisent, se concrétisent comme dans les romans traditionnels mais chez Proust, c'est impossible, du moins pour son personnage principal.
Sur ce plan, le narrateur ne réalise pas ses désirs, c'est une description tragique et frustrante de l'amour impossible pour plusieurs personnages mais principalement le narrateur dans ce tome. C'est la grande loi du désir. C'est l'occasion pour le narrateur de sublimer ses désirs, de les transmuter en rêve, de les vivre de manière imaginaire, la sublimation est aussi pour l'écrivain l'occasion d'alimenter son oeuvre.
C'est comme si ces personnages ne pouvaient pas se rencontrer dans l'écriture surtout, comme s'ils n'existaient pas, ce qui laisse songeur quant au procédé d'écriture. Tout est échec pour le narrateur dans ce domaine, c'est très frustrant pour le lecteur. le réel et l'imaginaire ne se rencontrent jamais, le premier est bien en-dessous du second. Comme si la fiction transcendante, la littérature, l'oeuvre d'Art dépassaient de bien loin la réalité pour le narrateur comme pour l'écrivain. On voit beaucoup de second degré dans ce livre, l'illusion est omniprésente.
L'écriture, quant à elle, regroupe ce qui est dit au-dessus mais elle ne se passe pas de la musicalité et de la poésie proustienne, ce sont des phrases que l'on lit mais que l'on entend aussi, que l'on voit grâce aux descriptions concrètes mais aussi aux métaphores sublimes des lieux, des paysages de Balbec, le voyage en train est très poétique et nous berce, un jeu littéraire et descriptif sur les couleurs, les effets d'ombre et de lumière sont mis en valeur, la poésie des personnages aussi, c'est l'exemple de la rencontre fugace entre le narrateur et la laitière (celle de Vermeer ? qu'il admire beaucoup), notamment dans la deuxième partie du voyage à Balbec aux jeunes filles, en passant par les descriptions des paysages, de la nature et des éléments. On se croirait dans un tableau de maître et c'est avec un grand plaisir qu'on imagine les scènes décrites, c'est l'éveil des sens du lecteur.

L'oeuvre de Proust est aussi une réflexion sur la vie, la condition humaine, les souffrances de l'amour, l'Art, la culture, la Beauté, vus à travers le prisme de la littérature. C'est une oeuvre difficile à saisir parfois et qui mérite de nombreuses relectures. L'oeuvre en elle-même contient un grand pan de la littérature et de la culture françaises du début du 20e siècle, lire Proust c'est un peu comme si on lisait plusieurs oeuvres mais celle-ci reste toutefois unique et peu commune.
L'écriture proustienne est particulière, à part, originale, inimitable.
Je recommande ce genre de lecture à tous ceux qui aiment les réelles oeuvres littéraires et la littérature de l'époque et qui n'ont jamais abordé Proust. Cependant, j'estime que le tome 1 -Du côté de chez Swann- reste plus accessible, plus concret, plus romanesque, Il est préférable de débuter par le premier opus.












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