Citations sur Oh, Roméo (35)
C’est ce rire que Juliette adore. Il séduirait n’importe qui, quelle qu’en soit la cause. Quand il rit, la vie s’allège et semble s’élever du sol. Oui, son père est charmant, pense Juliette, mais elle n’est pas très rassurée à l’idée qu’il accède au pouvoir. Heureusement, on sonne à la porte et Thibald arrive. Elle n’aura pas besoin de donner son avis.
On peut toujours s’y reposer les yeux, quand on ne supporte plus de voir le monde marcher sur la tête, dit son père. Les poissons-clowns grignotent une anémone de mer. Juliette aimerait un aquarium comme celui-là chez elle, mais quand elle se retrouve entre ses quatre murs, seules les mesures et la précision de ses conclusions la préoccupent vraiment.
Ses yeux sont beaux comme la pluie qui gorge les nuages, comme le soleil qui les réchauffe un instant avant de disparaître, comme les couleurs du magasin de tissus.
Le ciel est d’un bleu éclatant. Il y a des moments comme ça, se dit Juliette, où on devrait être heureux. Mais l’idée du bonheur national dans lequel on puise ne lui parle pas. Le bonheur doit venir de l’intérieur, pas du dehors, se dit-elle, tout en sachant très bien que ce qui serait susceptible de la rendre heureuse serait quelqu’un qui vient de l’extérieur.
Tout ce qui nous semble évident devrait être renversé pour voir l’existence sous un autre jour – là, je suis d’accord. Il faudrait pouvoir prendre le meilleur de chaque culture. Qui est le peuple le plus pacifique ? Le plus heureux ? Nous ? Pourquoi les maisons doivent-elles ressembler à cela ? Les canapés, la télévision ? Pourquoi les intérieurs des maisons sont-ils tous semblables ?
Le jeûne, c’est aussi une sorte de rituel de maîtrise de soi par lequel je me replace à l’intérieur de ma vie en inversant le jour et la nuit, tu comprends ?
La vie refoule lentement le malheur. Heureusement d’ailleurs, car personne n’en prendrait jamais la responsabilité.
Le séisme du Pakistan m’a littéralement secouée – si j’ose dire. Quand j’y pense, c’est comme si une pierre blanche se mettait à trembler à l’intérieur de moi. J’essaie de m’imaginer à la place d’une Pakistanaise dans un village de montagne, mais je dois avouer que je n’y arrive pas. Ni à me représenter ensevelie sous les décombres et les coulées de boue. J’ai monté le chauffage et me suis brossé les dents, et je vais me mettre au lit avec mon ouvrage. J’aurais peut-être terminé avant de réussir à m’endormir.
On ne vit qu’une fois, pense-t-elle. Je ne veux pas d’un isolement qui me ronge de l’intérieur comme un ver, qui me laisse vide et creuse comme une carafe fendue.
La solitude est une notion relative, se persuade-t-elle. Un sentiment subjectif. Après tout je n’ai qu’à appeler Monika et lui demander de passer. Devant le rayon boucherie, Juliette téléphone à son amie et lui propose d’acheter deux steaks pour le dîner.