Si tu lis cette lettre, c’est que le pire sera arrivé […]. Ma pauvre petite, tu devras supporter bien des épreuves, mais tu as assez de forces pour résister.
Avec sa beauté et un tel tempérament, le monde n'avait aucune chance de lui résister.
Dès qu'elle déciderait qu'elle aurait besoin de la chambre pour un autre usage, la Mort et Bedwell, qui s'étaient manqués en mer de Chine, se retrouveraient enfin dans la Tamise. Très pratique, cette adresse : le quai du Pendu.
Le train repartit. L'homme sortit un paquet de petits sandwichs et se mit à manger. Il ne faisait plus attention à elle. Sally, immobile sur son siège, contemplait les marais et le ville au loin, mâts des bateaux le long des quai et les chantiers navals plus loin sur sa droite.
Le temps passa. Finalement, le train entra dans la gare de London Bridge, sous la voûte de verre fumé, et le bruit de la locomotive laissa place au sifflement de la vapeur qui résonnait au milieu des cris des porteurs et du fracas des chariots. Sally se redressa en se frottant les yeux. Elle s'était endormie.
La porte du compartiment était grande ouverte.
L'homme avait disparu, et le livre aussi.
Par une froide et maussade après-midi d'Octobre 1872, un fiacre s’arrêta devant le bureaux de Lockhart & Selby, agents maritimes installés au cœur du quartier financier de Londres. Une jeune fille en descendit et paya le cocher.
C'était une personnes d'environ seize ans, seule et d'une beauté rare. Mince et pâle, elle portait un costume de deuil, avec un bonnet noir, sous lequel elle coinça une mèche blonde que le vent avait détachée de sa chevelure. Elle avait les yeux marrons, étonnamment foncés pour quelqu'un d'aussi blond.
Elle s'appelait Sally Lockhart et dans moins d'un quart d'heure, elle allait tuer un homme.
Elle sentit un coup violent sur sa joue. Le bruit lui parvint une seconde plus tard ; tout était décalé, et tout était redevenu sombre. Sally ressentait un sentiment de vide désespérant...
Puis elle se réveilla, à genoux, le visage ruisselant de larmes. Frederick était agenouillé près d'elle, et sans réfléchir, elle se jeta à son cou en sanglotant. Il la serra contre lui sans rien dire.
-Adélaïde a dit qu'elle le retenait prisonnier. Et ...
- C'est l'opium qui le retient prisonnier. Nous sommes en Angleterre ! On ne peut pas retenir les gens contre leur gré !
Elle referma le livre, la tête emplie d'images étranges: un banquet somptueux, des morts atroces et une pierre qui avait sur les êtres humains le même effet que l'opium.
Mille questions surgirent brusquement, comme des mouches dérangées en plein festin, et emplirent son esprit de confusion. Elle ferma les yeux en attendant de retrouver son calme puis, au bout d'un moment, reprit sa lecture.
La peur du major était contagieuse.