Comme torrent des montagnes
À « Davar »
Comme torrent des montagnes qui, bondissant, atteint la plaine,
Il grandira, se fortifiera,
Et creusant sa voie vers la mer il ne se souviendra plus
De la pauvre source de son origine.
Ne se souviendra plus, plus de ses premiers souples méandres,
Mais à jamais et tout entier
Il est uni à la fontaine cachée entre les rochers
Et il y boit jusqu'à l'ivresse.
19 Sivan, 1926.
TIBÉRIADE. Poèmes épars, p. 45
Si j’avais imploré de toi une fraternelle caresse —
Aurais-je en vérité trop imploré ?
Mon âme était lasse d’un voyage sans but
Dans le vaste désert de la vie.
Et à qui la faute si appelle à la révolte
Ce cœur qui accepte le jugement ? —
Sur ma table, quand paraît l’aurore,
Ma dernière lettre pâlit.
Tamouz, 1929.
TIBÉRIADE. Poèmes épars, p. 77
Moi et toi
Gardant silence – toi et moi,
En attente – moi et toi,
Dans mes sinueux secrets l’obscurité
Et le silence dans mes sinueux secrets.
Je ne tendrai pas la main – comprends-tu ?
Je ne prendrai ta main comme guide.
Je me tairai et j’attendrai – un signe.
Je me tairai, j’attendrai.
Même si tu te moques : « obstinée comme toi ! »,
Si tu t’éloignes – je scellerai le jugement.
Et moi, et toi – nous comprendrons.
Nous nous tairons, troublés.
1929
/ Traduit de l’hébreu par Bernard Grasset
Mes forces déclinent…
Mes forces déclinent de plus en plus-
De grâce sois bon pour moi, bon pour moi !
Sois le pont étroit par-delà le gouffre du chagrin, chagrin de
mes jours.
De grâce sois bon pour moi, bon pour moi ! Sois un souffle,
Un secours pour le cœur, l’ombre d’un arbre dans le désert désolé.
Sois bon pour moi ! La nuit est si longue, l’aube si lointaine.
Sois un peu de lumière, la joie soudaine,
Sois le pain quotidien !
/traduit de l’hébreu et présenté par Bernard Grasset
Tes mains sont tendres…
Tes mains sont tendres comme giron de terre-patrie,
Comme le sien doux est leur toucher, source d’oubli et de repos.
Être étreinte par elles et connaître :
Ici je n’ai plus peur !
Oui femme, seulement femme je suis – rameau
Qui grimpe, s’élève, monte jusqu’à la cime,
Sans appui - triste et pâle
Vers le pays je m’incline.
/traduit de l’hébreu et présenté par Bernard Grasset
Ainsi mieux vaut-il…
Ainsi mieux vaut-il que soit oublié son amer souvenir,
Et la liberté m’appellera de nouveau.
Je ne désire que l’étincelle du brasier du passé,
Et ma main ne se tend pas pour mendier.
Ainsi mieux vaut-il que mon âme soit de l’univers,
Sur elle nul homme, personne ne règnera :
Et je fortifie, sanctifie comme jadis mon alliance
Avec le firmament et les champs.
/traduit de l’hébreu et présenté par Bernard Grasset