Le sort de Margot était cependant enviable si elle le comparait à celui de certaines femmes de pêcheurs. Si quelques-unes d'entre elles, remplaçant leurs maris mobilisés, s'étaient à leur tour mises à la pêche pour tenter de survivre avec plus ou moins de succès, d'autres s'étaient engagées comme domestiques dans les fermes où le travail ne manquait pas, tandis que d'autres encore avaient délibérément choisi de quitter leur foyer en laissant leurs aînés s'occuper de leurs frères et soeurs pour partir travailler à Brest. Trois mille femmes s'étaient ainsi engagées comme ouvrières dans la poudrerie du Moulin-Blanc à Kerhuon. Elles ne revenaient que le dimanche dans leur famille et étaient payées beaucoup moins que les ouvriers, des hommes âgés non mobilisables habitant les villages voisins. Révoltées par cette injustice, certaines tentaient d'organiser un mouvement de grève. D'autres, pour pouvoir joindre les deux bouts, couchaient à l'occasion avec l'un ou l'autre de leurs collègues masculins.
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Au Conquet comme dans tous les ports de la côte, les pêcheurs et leurs familles se félicitaient d'être dans la Royale et non dans l'infanterie ou la cavalerie car, le moins que l'on pût dire, c'est que les biffins n'étaient pas à la noce. Ce qui se passait était même dramatique. Le nombre de morts dans la population agricole et citadine était colossal comparativement à celui des côtiers, pêcheurs ou non, versés dans la marine.
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