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Critique de Folfaerie


Gros coup de coeur pour ce fabuleux bouquin classé en nature writing. Vraiment. C'est un texte qui ne peut qu'enrichir son lecteur, et la prose est belle et riche. Merci au traducteur, Mathias de Breyne.

Ecrivain, traducteur et poète, Rain Crowe a fait partie de la Beat generation, a roulé sa bosse un peu partout et a exécuté plusieurs petits boulots le rendant polyvalent, dans le bons sens du terme. Aussi, lorsqu'il décide de franchir le pas – vivre pratiquement en autarcie dans un coin perdu des Appalaches – ses différentes expériences et ses convictions écologistes lui permettent de s'adapter à sa nouvelle vie avec une aisance que je lui ai enviée.

Profitant de l'hospitalité d'un fermier voisin, qui prête le bout de son pré et une petite cabane, Thomas Rain Crowe se prépare à sa vie hors du monde « réel », celui que nous impose le progrès et la civilisation, pour retrouver les plaisirs d'une vie simple et sans entraves, en harmonie avec la nature. Bien sûr, tout n'est pas toujours facile, le corps est sans cesse sollicité, couper du bois mort, travailler son potager bio, réparer ou aménager la cabane (j'ai souffert avec lui lors de la construction du cellier, travail harassant…) ne sont pas des activités de tout repos. Mais au bout de chaque journée, la récompense. Manger ses propres légumes, boire l'eau de la source, marcher en forêt, fraterniser avec les cerfs, écouter et observer les oiseaux qui viennent manger les graines. Apprendre de ses voisins (affûter une lame, confectionner sa première bière maison…), travailler avec les Cherokees sur un répertoire des sites sacrés.

Il aimait aussi s'installer dans son fauteuil près du poêle à bois pour relire Emerson ou Thoreau. Il aimait cette relative solitude et sentir les liens qui l'unissaient à ce bout de terre. Chaque chapitre se clôt par un de ses poèmes, presque tous dédiés à la nature, et ils m'ont bien plu.

S'il a parfois été obligé de prendre le fusil pour défendre ses récoltes, contre marmottes, écureuils ou lapins, il le fait à contrecoeur, parce que c'est une question de survie. Il n'a jamais rien chassé de plus gros, ne tirant ni cerf ni prédateur. L'essentiel de ses repas se compose des légumes et fruits de son jardin, occasionnellement un poisson. Un presque végétarien en somme.

Bref, on est loin du Pete Fromm de Indian Creek (au fil des mois, je déteste de plus en plus ce roman et son auteur !) et c'est tant mieux. Ses points communs avec Sue Hubbell ou Aldo Leopold sont en revanche très nombreux. Ils ont la même vision de l'écologie, de ce qu'elle devrait être. Ce mot qui devient creux à force d'être utilisé à tort et à travers, retrouve ses lettres de noblesse sous la plume de Thomas Rain Crowe.

Il aborde également un problème qui me tient à coeur et que peu de gens qui se qualifient d'écologistes osent aborder : la surpopulation humaine.il ne suffit pas de penser en terme de nourriture (et de toute façon, même dans ce cas, il y aurait beaucoup à dire) il faut penser aussi et surtout en terme d'espace et de services. Maison, accès à l'eau potable, bon niveau de vie impliquant des infrastructures et la production toujours grandissante de produits de consommation, même courants, mode de chauffage (et oui, le bois n'est pas inépuisable), etc. Et la contrepartie de tout ça, la réduction des espaces naturels, le bétonnage de la nature, la disparition d'espèces animales, la production de déchets dont nous ne saurons que faire, la nécessité d'avoir un travail ou des revenus, le besoin de loisirs, de biens matériels… On ne peut même pas cohabiter avec des loups ou des éléphants, comment cohabiterons-nous avec des milliards de gens, sur des espaces de plus en plus restreints et pollués ?

L'auteur évoque avec justesse un autre besoin vital : vivre dans l'intimité et la tranquillité. de plus en plus de citadins veulent quitter les villes pour retrouver la paix, loin du bruit, de la foule, de la violence aussi. Mais cette paix s'acquiert à coup de lotissement, de rond-points, de bretelles d'autoroutes, de centres commerciaux érigés là où il y avait des prairies et le bocage, des bois et des animaux. Bref, un redoutable casse-tête que Thomas Rain Crowe a expérimenté à petite échelle.

En effet, l'écrivain a fini par quitter ce coin des Appalaches, rattrapé par le progrès. Il vit aujourd'hui dans une petite ferme près d'une autoroute (ce qu'il déplore), pas complètement ré-adapté à la vie « réelle » mais reconnaissant d'avoir pu vivre cette parenthèse enchantée. Il sait combien les choses dont nous avons le plus besoin sont fragiles et il espère toujours que le bon sens finira par l'emporter. J'en suis moins sûre que lui mais je suis heureuse de savoir que des gens comme lui existent.

C'est donc une magnifique expérience que l'auteur nous rapporte, doublée d'une saine réflexion sur notre place et notre rapport au monde sauvage, dont dépend notre survie. Lecture à compléter, si ce n'est déjà fait, avec L'almanach du comté des sables et Une année à la campagne.
Lien : https://labibliothequedefolf..
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