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Critique de Presence


Une nouvelle pousse
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Ce tome est le premier d'une nouvelle saison consacrée au personnage, qui peut être apprécié sans rien en connaître, qui révèle plus de saveurs quand le lecteur est familier de la version d'Alan Moore, Steve Bissette et John Totleben, avec Rick Veitch. Il regroupe les épisodes 1 à 4 de la série mensuelle, ainsi que les épisodes 1 & 2 de Future State: Swamp Thing, initialement parus en 2021, écrits par Ram V, dessinés et encrés par Mike Perkins, mis en couleurs par Mike Spicer pour les 1 à 4, et par June Chung pour les 1 & 2 de Future State. Les couvertures originales ont été réalisées par Perkins, et les couvertures variantes par Francesco Mattina (*2), Kyle Hotz, Gerardo Zaffino, Dima Ivanov (*2).

Becoming (épisodes 1 à 4) : un médecin légiste est en train de prélever une larve sur un cadavre pour déduire de son stade de développement, le nombre de jours écoulés depuis le décès de la victime. Les mouches à viande sont encore à l'état de larve : le décès doit remonter à neuf ou dix jours. En outre il a relevé des traces de morsures, l'implantation des dents laisse à penser qu'elles sont humaines, mais comme si elles avaient été repositionnées sur la mâchoire. L'agent Emmett en déduit que cette mort doit être l'oeuvre du pâle vagabond, ce qu'il fait remarquer au shérif Dom. À la question du médecin légiste, il répond qu'il s'agit d'une légende : après la bataille de Picachio de 1862, un soldat, Seth Martens ou Thomas Brundle, a décidé de se retirer dans le désert, vivant une vie de trappeur et de cantonnier pour le rail. Avec la grande dépression qui s'installe, il décide de se retirer plus loin dans le désert. Il est tiré de sa retraite dans les années 1950 par les forages d'une compagnie pétrolière. Les témoins affirment qu'ils l'ont vu dans les barriques en train de boire le pétrole non raffiné. À chaque signalement, il semblait avoir grandi en taille et en force. Régulièrement quand quelqu'un traverse le désert, son désert, il se manifeste. Pendant ce temps-là, Levi Kamei est à bord d'un vol qui rallie New Dehli à l'aéroport JFK à New York. Il est de nature inquiète pendant les vols. Il se lève et se rend aux toilettes pendant des turbulences, son esprit assailli de vision d'une créature anthropoïde végétale.

En 1971, Len Wein & Bernie Wrightson créent le personnage de Swamp Thing, établissant son origine et ses caractéristiques. La version la plus mémorable après la leur est celle d'Alan Moore, Bissette et Totleben, une quarantaine d'épisodes de 1984 à 1987. Par la suite, le personnage est passé entre les mains de nombreux créateurs comme Rick Veitch, Nancy A. Collins, Mark Millar, Brian K. Vaughan et Scott Snyder, chacun apportant sa vision personnelle, sans réussir à supplanter celle de Moore. C'est donc un défi impressionnant que de reprendre ce personnage dans l'ombre des épisodes de Moore. Ram V disposant des coudées franches, il peut installer un nouvel être humain dans le rôle d'élémentaire du règne végétal, ce qui lui permet d'introduire des modifications, tout en se mesurant à la version de référence, aux différentes utilisations du pouvoir de Swamp Thing, à sa façon d'incarner la nature. le scénariste décide de commencer en douceur : un meurtre inexpliqué, visiblement le fait d'un monstre mystérieux, un futur hôte assailli par des visions incompréhensibles, s'incarnant en plante vivante la nuit. La coupure est assez nette d'avec la version Wein & Wrightson, et d'avec celle de Moore, Bissette et Totleben. Les dessins sont dans une veine réaliste un peu dure et crue, avec une mise en couleurs sombre, dans une veine Noir avec une petite touche gothique, sans avoir la saveur des précédentes itérations. le monde normal reste séparé de celui de Swamp Thing, ce qui fonctionne bien. le lecteur se prend au jeu. Quelles sont les circonstances dans lesquelles Levi Kamei va devenir la nouvelle incarnation du végétal ? Qui va-t-il combattre ? le récit ne prend pas la direction trop prévisible d'un pamphlet écologique.

Mike Perkins réalise des dessins donnant une impression de réalisme, sans être surchargés avec un bon niveau de détails, des textures, et une bonne complémentarité du coloriste. le désert reflète la lumière douce du soleil avant la tombée de la nuit quand la température a déjà bien baissé. La scène dans l'avion montre une allée centrale d'une taille correspondant à la réalité, ce qui n'est pas toujours le cas dans les comics. L'appartement de Jennifer Reece est composé de pièces avec des dimensions plausibles, un ameublement fonctionnel avec une petite touche de personnalité. L'installation pour l'IRM correspond également aux appareils qui existent dans la réalité, attestant d'un bon travail de recherche de référence par l'artiste. La direction d'acteur fait en sorte que les personnages se conduisent en adulte, et pas en adolescent surexcité. Les ombres portées parfois un peu appuyées apportent la touche sinistre attendue pour les individus malintentionnés vis-à-vis de Levi & Jennifer. le lecteur ressent qu'il découvre un thriller tendu, dans un environnement réaliste. Les premières apparitions de Swamp Thing fonctionnent comme des hallucinations ressenties de l'intérieur par Levi Kamei : alors qu'il dort, tout se passe comme si sa conscience est projetée dans le Vert et qu'il prend une forme anthropoïde qui se retrouve confrontée à un ennemi, le pâle vagabond. Les épisodes 3 & 4 se déroulent essentiellement dans la réalité de la Verdure : les dessins conservent leur texture, et les personnages deviennent plus formidables, plus monstrueux. Les arrière-plans perdent en descriptif, pour retenir des ombres d'arbres et de leur végétation, agrémentés de camaïeux expressionnistes et spectaculaires. C'est une évidence pour le lecteur que l'esprit de Levi doit faire l'expérience de la plongée et de l'immersion dans la conscience végétale, et la forme retenue par les auteurs fonctionne très bien sur le plan visuel et du point de vue narratif, avec une personnalité propre, différente de celle de leurs prédécesseurs. Les combats deviennent alors métaphoriques et le découpage des planches devient plus libre, plus diversifié, rendant compte d'une réalité avec une forte composante psychique.

Le lecteur ressort de ces quatre épisodes, convaincu par l'intérêt de cette nouvelle version, différente des précédentes, avec une bonne narration visuelle suffisamment horrifique, et une incarnation de Swamp Thing mariant les éléments constitutifs du personnage, et une saveur originale. le lecteur veut en savoir plus. Il reviendra pour le deuxième tome.

Future state : le multivers a été sauvé de la destruction et la victoire a ouvert de nouvelles possibilités. Une nouvelle vie souffle dans le multivers et des visions d'un futur pas encore écrit deviennent perceptibles. Sur la tête de la Statue de la Liberté un peu délabrée, Calla discute avec Père Verdure : elle souhaite qu'il raconte encore une fois ce qui est arrivé au monde. Dans celui-ci, le changement est toujours survenu dans la violence. Chaque naissance au prix de millions de vie. Chaque mort, le commencement d'une autre vie. Et personne n'a mieux incarné cette idée que l'être humain. Celui-ci a dompté le feu et capturé le soleil, construit de grandes métropoles, et créé des oeuvres d'art d'une beauté infini. Mais il est né avec un défaut : plus préoccupé par la violence que par le changement lui-même. Une guerre survint éradiquant la civilisation humaine. Père Verdure et sa famille, Calla, Heather, Indigo, Venen et Vruk, doivent continuer de chercher des humains.

Juste avant la parution du premier épisode mensuel de cette saison, l'éditeur DC Comics avait commandé une histoire en deux parties aux mêmes créateurs, sur le même personnage. Elle se déroule dans le futur, mais avant la première apparition de Levi Kamei : le lecteur retrouve donc une itération de Swamp Thing étant encore issue d'Alec Holland. D'un côté, c'est un plaisir que de disposer de deux épisodes supplémentaires par le même duo de créateurs. D'un autre côté, ce sont à la base des épisodes bouche-trou sans incidence sur la saison en cours. le lecteur commence sa lecture, un peu circonspect. Il est vite rassuré par les dessins : Mike Perkins s'est montré aussi investi dans ces planches que pour celles des épisodes 1 à 4. le scénariste l'a ménagé en faisant évoluer Swamp Thing et sa petite troupe dans un paysage naturel enneigé, donc beaucoup plus rapide à dessiner. Lors des combats, l'artiste se repose sur la coloriste pour remplir les fonds de cases avec des effets spéciaux, ce que Chung fait très bien. Les personnages sont représentés avec la même tonalité horrifique : des monstres végétaux n'appartenant pas à l'humanité, malgré leur forme anthropoïde.

Dès la première page, le lecteur note que Perkins s'est bien amusé à dessiner les tissus internes qui constituent le corps de Swamp Thing, entre écorché et schéma, pour quelques cases réparties à intervalle régulier dans les deux épisodes. Il sourit en se disant que le scénariste effectue ainsi deux actions. La première est de raconter comment Swamp Thing construit un corps végétal pour se déplacer, pour s'incarner. La seconde renvoie au deuxième épisode écrit par Alan Moore : la leçon d'anatomie dans l'épisode 21 paru en 1984, dessiné par Steve Bissette & John Totleben. C'est une sorte de réponse : Moore déconstruisait le corps de Swamp Thing, et ici Ram V le construit. Il se rend compte à la fin de l'histoire que ces cases remplissent une troisième fonction narrative en lien direct le but poursuivi par la petite troupe de plantes dotées de conscience : retrouver un humain vivant. D'une certaine manière, ce but entre en résonnance avec l'épisode 56 écrit par Moore, d'une manière aussi habile qu'élégante et signifiante, une belle réussite. Scénariste et dessinateur mettent à profit cette commande de circonstance pour réaliser une histoire complète et prenante, et un hommage discret et élégant.
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