Fleuve Noir Espionnage n°605 - Sous collection "Le monde en marche" - 1967
Ce qui suit spoile l'intrigue
Je peux spoiler totalement ce petit roman issu de la plus populaire et prolifique collection d'espionnage française. Il y a une chance infinitésimale pour que vous y tombiez dessus en occasion (il ne fut jamais réédité et ne le sera pas), que vous preniez la décision de le lire ou que ma chronique vous y pousse.
Un bourg bien français sous l'Occupation, près d'Aubusson.
Les frères Réal.
Deux ex-républicains, rescapés de la terrible Guerre d'Espagne. Ils ont fui le Franquisme.
De 1941 à la Libération ils collaborèrent avec l'ennemi, vendirent les maquis du Massif Central. Protégés par les autorités allemandes locales, ils pratiquèrent impunément le marché noir intensif et d'autres exactions discrètes. Ils furent aidés par un cheminot et un bistrotier qui les renseignèrent volontiers et demandèrent peu.
A la Kommandantur, Trottner, un colonel allemand honnête, composa avec eux le moins souvent possible. Utilisant leurs renseignements avec le minimum d'efficacité, il se heurta à son second qui n'accepta pas un filon de trahison aussi faiblement exploité.
Les deux espagnols livrèrent un maquis. Trottner absent, son adjoint fit encercler le réseau trahi. L'affaire tourna mal. Sans capturer quiconque, il perdit plusieurs de ses hommes. Exécutions d'otages civils s'ensuivirent.
Trottner, de retour, envoya son second à la mort sur le front sibérien. Pour la population civile, le colonel se doit d'endosser le massacre des otages, même si chacun le sait innocent.
Capturé à la Libération, il fut jugé par un tribunal militaire et civil composé de 5 hommes et d'une femme: les frères Réal, le bistrotier et le cheminot, ce dernier accompagné de sa maîtresse. Trottner fut condamné à mort (une seule voix sera en faveur d'une justice moins expéditive : celle d'un professeur d'art dramatique). le colonel allemand fut exécuté sur le champ.
Dix ans plus tard, les frères Réal, pour faire fructifier leur entreprise déjà florissante, ont besoin d'obtenir la nationalité française. Ils redoutent l'enquête de moralité associée à la demande, cherchent à faire table rase d'un passé commun peu glorieux. le professeur d'art dramatique semble avoir compris les tenants et aboutissants de l'affaire Trottner, cherche à prouver ses accusations à l'encontre des deux ex-républicains à l'aide d'un film amateur retraçant leur parcours. Les Real chargent le bistrotier et le cheminot d'assassiner l'homme discrètement. le film n'est pas retrouvé sur les lieux. A Bonn aux archives de la Werrmacht un employé est tué, les archives de la Kommandantur d'Aubusson disparaissent. La maîtresse du cheminot meurt accidentellement. le vide se fait autour des frères Real.
1967, la Force M, une unité d'espionnage et de contre-espionnage, est chargée de suivre l'itinéraire d'étranges espagnols qui assassinent des ex-républicains sur le territoire français. L'enquête débouche sur la piste des frères Real : sous couvert républicain ne sont-ils pas des agents doubles phalangistes devenus brusquement gênants pour le régime franquiste.
C'est alors qu'entre en scène Trottner Junior.
Bébé à la mort de son père, il vécut toute son enfance et son adolescence dans le culte familial de celui qui fut injustement condamné et exécuté pour crimes de guerre, que les alliés et les autorités allemandes dépouillèrent de tous biens. Devenu militaire, le fils profite de manoeuvres franco-allemandes conjointes près d'Aubusson pour enfin déterrer la vérité sur l'affaire et prouver l'innocence de son père. La Force M va l'aider, trouvant en lui un allié de circonstances...
Trottner avec ses questions trop pressantes et précises, inquiète la population civile et surtout les frères Réal. Ils se sentent menacés, se dévoilent imprudemment en cherchant à faire taire les témoins encore en vie. La prescription des faits n'y fait rien. Rester immobiles leur assurerait l'impunité; ils réagissent brutalement pourtant. le bistrotier est assassiné par le cheminot. Trottner échappe à un sabotage manqué sur son automobile, survit à une explosion criminelle dans l'enceinte militaire allemande. le film est retrouvé, mais constitue davantage un témoignage qu'une preuve.
Ultime piste: le cheminot. le convaincre de témoigner. Arguer du fait qu'il est resté dans la misère alors que ses complices sont devenus millionaires. Lui dire que sa peau, désormais, ne vaut rien car tôt ou tard les frères Réal le tueront. Face à l'évidence, l'ultime témoin s'en prend aux biens des deux frères. Et dans une apocalypse de violence et de feu, les Réal interviennent. L'un deux trouve la mort, l'autre survit et avoue.
CE QUE J'EN PENSE : J'ai très longtemps cherché à relire ce roman qui avait fortement marqué ma jeunesse. Difficile à trouver, je l'ai lu récemment, fruit d'une boite à livres. C'est avec infiniment de crainte que je l'ai commencé et de déception que je l'ai fini. La nostalgie a tant de force sur les romans mineurs lus étant jeune. Je n'y ai bien entendu pas trouvé l'émoi étonné qui fut mien il y a longtemps. Pourtant on y retrouve bel et bien tous les ingrédients qui me sont chers : les paradoxes humains issus des conflits militaires terminés. Maintenant plus endurci face à ces drames violents et inutiles, il me faut convenir que celui-ci, ni dans son fond ni dans sa forme ne possède vraiment les ingrédients du chef-d'oeuvre entrevu jadis. Pas mal, sans plus. Un de mes meilleurs Fleuve Noir Espionnage lus.
Cette chronique pour faire revivre une collection très populaire de 1950 à 1987; quantitativement hors normes (mille neuf-cent-cinq romans dont un bis); des héros récurrents dont Coplan par exemple; des auteurs maison, des exécrables, des médiocres, des moyens, certains devenus légendaires tel Frederic Dard; et ce Claude Rank inattendu, ni pire ni meilleur qu'un autre auquel inexplicablement j'ai accordé une confiance et une fidélité sans borne jusqu'à une date toute récente.
Le FNE ne se collectionne pas, il y a trop d'exemplaires en circulation; dans les années 60 chaque roman est diffusé à cent-quarante milles exemplaires.
Sans oublier Gourdon, l'illustrateur maison de la collection (itou celui du voisin Fleuve Noir Special Police), qui inonda très longtemps de ses couvertures en noir et blanc les unes de la collection.
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