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Critique de berni_29


Serena, c'est un récit démoniaque au coeur des montagnes américaines, les Smoky Mountains de Caroline du Nord.
Nous sommes en 1930, dans une riche exploitation forestière tenue par le jeune George Pemberton.
Il s'est absenté pendant trois mois pour affaire à Boston. Il revient marié à la très belle Serena.
Serena, c'est un prénom doux... Ne vous y fiez pas. Serena est belle, ne vous en approchez pas, je vous en conjure, elle est sans état d'âme et elle ne va pas tarder à passer aux manettes...
Sur le quai de la petite gare de Waynesville, un père et sa jeune fille attendent George Pemberton, la jeune fille s'appelle Rachel, elle est enceinte des « oeuvres » du riche propriétaire.
Le père est armé d'un couteau de chasse, il a passé toute la matinée à l'affûter, à penser à ce moment aussi, j'imagine...
La scène d'ouverture porte déjà la dramaturgie qui nous saisira au col pour ne plus nous lâcher jusqu'aux dernières pages.
Il y a dans ce roman ample tous les ingrédients d'une oeuvre romanesque puissante, il y a toutes les images aussi...
Serena, c'est en effet un personnage romanesque haut en couleurs, comme tout droit sorti d'un conte gothique, qui allie la beauté aux ténèbres. Dès chaque matin, elle traverse le domaine, telle une amazone sur son étalon noir, un aigle perché sur son poing serré, c'est elle finalement qui semble régner ici sur les forêts des Great Smoky Mountains...
George Pemberton et son épouse Serena sont des prédateurs, rien moins que cela. Les serpents à sonnettes qui pullulent dans les buissons, les aigles que Serena élève ou la panthère qui rôde dans les montagnes plus haut, ne sont pas plus dangereux qu'eux deux. Mais elle est peut-être plus dangereuse que lui, à telle point que je retenais mon souffle à chaque fois qu'ils faisaient l'amour, oui c'est un couple qui s'aime, un couple fusionnel, je me disais elle va finir par le dévorer comme une mante religieuse...
Mais ils ont tant besoin l'un de l'autre pour tenir leur dessein commun...
Les arbres tombent, tombent, tant que tant, comme un jeu de quilles, ils tombent et parfois les hommes avec... le métier de bûcheron est souvent un lourd tribut à payer, surtout lorsqu'on travaille pour les Pemberton... Mais il y a la crise économique. Rappelez-vous, on est en 1930... Alors, on ne se plaint pas, on courbe l'échine...
Et comme pour mieux porter cette histoire âpre et brutale, il y a les paysages grandioses et sauvages de cette région de Caroline du Nord. La nature ici est un personnage à part entière comme sait si bien la décrire Ron Rash, la nature et ceux qu'elle contient comme espèces dangereuses pour l'homme...
Mais comme espèce dangereuse, vraiment dangereuse pour l'homme, moi je n'en connais qu'une, vraiment...
Ils sont déterminés à couper tous les arbres de la région pour faire fortune et quand il n'y aura plus d'arbres sur les Smoky Mountains , ils iront faire la même chose au Brésil... Et quand ils auront fait la même chose au Brésil, ils iront ailleurs, rien ne peut arrêter leur ambition, surtout elle, car le Brésil c'est son idée...
Mais brusquement, un obstacle vient, le grain de sable qui peut faire bloquer la belle mécanique si bien huilée : le projet d'aménagement d'un parc national, pour lequel l'État convoite leurs terres, menace leurs ambitions. Putain d'écolos ! Bon, on ne disait pas cela, - pas encore cela, en 1930 aux States ou ailleurs... Cela n'émeut guère les Pemberton. Qu'à cela ne tienne : il y a les arrangements en tous genres, les spéculations, les combines politiques, les banquiers qu'on se met dans la poche, les dessous de table... Tous les moyens sont bons... Et si cela ne suffit pas...
On suffoque, on espère, on craint sans cesse pour ceux qui sont la proie de ce couple machiavélique, déterminé à ne pas se laisser embêter par les obstacles qu'ils rencontrent sur le chemin de leur ambition.
On court à perdre haleine avec eux, on voudrait les prendre par la main, les protéger, tandis que le sort leur tient des embuscades...
Le sort, c'est cet homme de main dévoué jusqu'au sang à la belle et dangereuse Serena...
Pas de doute, Ron Rash sait nous rendre l'atmosphère irrespirable.
Je pense à cette jeune femme Rachel et son petit qui vient de naître un peu plus tard, Jacob. Elle est la bonté, la candeur par excellence... Elle m'a touché au coeur. Elle est tout ce que ne sera pas, ne sera jamais Serena. Elle a cet enfant qu'elle protège... Cet enfant dont l'existence est insupportable aux yeux de la belle et terrible Serena. Rachel et son fils Jacob, fuyant plus tard d'une gare à l'autre, c'était comme si je voyais sous mes yeux Fantine et sa petite Cosette, fragiles, bousculées dans le fracas du monde et la méchanceté des hommes...
Oui, parce que la belle et terrifiante Serena n'arrête pas de penser à cet enfant engendré par cette Rachel, ce maudit enfant, « l'oeuvre » de son époux... Cela en devient une obsession...
La richesse de ce récit dense et prenant du début jusqu'à la dernière page, mêle tous les genres, le western, le thriller implacable, la tragédie antique, le pamphlet écologique...
Je ne sais pas ce qui est le plus dangereux, mettre le pied sur un crotale par inadvertance, déloger de sa tanière une panthère ou bien rencontrer sur son chemin la belle et intrépide Serena lorsqu'on ne partage pas avec elle la même vision du monde.
Et puis il y a ce style inimitable dans l'écriture de Ron Rash, poétique, parfois lyrique, magnifique, d'une beauté crépusculaire.
La force créatrice de ce récit, c'est aussi le talent qu'a l'écrivain à certains moments du récit, de déplacer la narration et de la confier aux voix des bûcherons. Les Pemberton leur donnent du travail, ils ne vont pas cracher dans la soupe, surtout en temps de crise économique, cependant voici que des voix s'étonnent peu à peu, évoquant la disparation d'une personne, le suicide d'une autre personne qui s'est défenestrée... Tout de même, ces coïncidences...
Ici l'horreur est subtilement traitée comme dans un procédé théâtral où nous regardons la scène, les acteurs qui s'y déploient, parfois surgissant des coulisses, quelqu'un rapporte un drame nouveau survenu. Je dois avouer que ces pages sont écrites également avec beaucoup d'effet.
Du grand art !
L'écriture poétique de Ron Rash rend cette brutalité somptueuse, comme le vertige abyssal d'une tragédie grecque dans toute sa splendeur.
Du grand Ron Rash ! Ce roman est pour moi un véritable coup de coeur.
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