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Critique de kikenbook


Après le Cerbère Blanc, dernier roman de Pierre Raufast, je devais revenir en vallée de Chantebrie pour découvrir davantage les personnages qui hantent cette contrée sortie de l'imagination fertile d'un auteur inspiré. Et quelle inspiration !
La Variante Chilienne est un roman dont on déguste les chapitres comme des petits bonbons sortis d'un paquet de friandises littéraires. Je me sens comme le roi de Perse, envie de meurtre en moins, dont la Shéhérazade aurait pris la voix, la plume de Pierre Raufast pour me délivrer une kyrielle de petits contes afin d'étouffer les annonces d'une actualité morose.
Pascal, le narrateur principal, prof de littérature, vient d'arriver dans un gîte de la vallée de Chantebrie. Il va y rester deux mois en compagnie de Margaux, une lycéenne éprise de poésie dont le journal intime constitue la matière de plusieurs chapitres du roman. La jeune fille l'a accompagné pour échapper à un quotidien rendu pesant par un drame depuis lequel son père et elle peinent à cohabiter sereinement. Pascal et Margaux vont faire la connaissance de Florin, donc, le seul voisin du gîte, qui a la particularité de n'avoir plus de mémoire : un accident de jeunesse l'a privé de ses émotions et, partant du principe que les souvenirs se fabriquent à partir de ces dernières, sa mémoire est hors-service depuis plus de 40 ans. Pour palier à ce désagrément, à chaque fois qu'il lui semble vivre un évènement marquant ou une rencontre importante, Florin y associe la forme et le grain d'un caillou qu'il ramasse pour l'occasion. Ainsi Florin amasse-t-il ses souvenirs dans des bocaux étiquetés de l'année en cours et entreposés chez lui dans une pièce qui leur est réservée. Florin va donc piocher quelques cailloux pour raconter à Pascal et Margaux son histoire, mais aussi celle de son village et de quelques-uns de ses habitants, et ce sera l'occasion aussi pour les deux narrateurs de revenir à leur tour sur leur passé.
Ici, les récits se relient, les langues se délient et l'on lit avec délice les aventures peu ordinaires de Florin. Une fois harponné, on se laisse emporter dans le tourbillon des souvenirs que transcrit une écriture dynamique, poétique, humoristique et riche en symboles et mythes. Si les émotions ont déserté la mémoire de Florin, la nature et ses éléments semblent en revanche s'être ligués pour chambouler le cours de son existence et de celle du village : que ce soit le feu de l'incendie qui change à jamais la vie de Florin ; les eaux du déluge qui perturbe la vie de la petite bourgade, ou des funestes piscines qu'on finit par combler du terreau d'un potager cachottier ; la terre, justement, des pots antiques que le Potier voudrait rapporteurs d'Histoire ; ou encore l'air que déplace l'hélico pour secouer les noyers.
Les noyers… faut-il y voir un lien avec l'eau des piscines ? Pierre Raufast serait-il à ce point joueur ? A-t-il d'ailleurs déjà joué au Capateros, le jeu de cartes qui a une place centrale dans la vie et le récit de Florin, un jeu aux règles assez hallucinantes et dont la variante chilienne, propice aux paris, va elle aussi bouleverser bien des vies !
Bref, on l'aura sûrement compris, Pierre Raufast s'est fait le brillant architecte d'une marelle mémorielle dont chaque case dévoile, grâce au caillou qui la révèle, le souvenir d'une vie aussi riche que l'imagination d'un enfant nourri aux Grimm et au Perrault. Je n'ai peut-être qu'un regret en refermant le roman : que cette variante chilienne n'ait pas duré mille et une nuits.
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