Après
La Fractale des Raviolis,
Pierre Raufast tente encore l'aventure des récits imbriqués dans
La Variante chilienne, toujours chez les éditions Alma.
Pascal, professeur de littérature aguerri, débarque dans la maison de vacances qu'il a louée pour l'été en compagnie de Margaux, adolescente et empreinte d'une paranoïa au départ mystérieuse. C'est déjà l'occasion pour l'auteur, malgré quelques scènes délicates, de replacer un humour grinçant toujours bienvenu. Une fois installé avec ces deux vacanciers, le lecteur se rendra vite compte qu'ils ne sont pas les personnages principaux, puisqu'apparaît Florin, vieux taciturne, largement porté sur la pipe et la bouteille, dont l'expérience semble être longue comme le bras.
Et là débarque le concept central de ce roman ! Si dans
La Fractale des Raviolis, c'est le « meurtre par des raviolis » qui déclenchait et justifiait la fouille d'historiettes bien menées, ici c'est la maladie de ce gentil Florin qui est la cause de tout. Ainsi, depuis sa jeunesse, il est incapable d'associer des émotions à ses souvenirs, l'empêchant alors de conserver une certaine mémoire ; c'est pourquoi il s'échine depuis des dizaines d'années à associer à chaque souvenir mémorable un petit caillou. Au bout d'une vie, il finit par entasser des jarres entières de galets ou de petits bouts de roches au fond de sa cave ; pour autant, il peut reconnaître chacun de ses souvenirs matériellement stockés. La rencontre et l'amitié qui se noue avec Pascal et Margaux est alors l'occasion, pour ce vieillard avide de partage, de ressortir quelques vieux souvenirs, et si possible les plus croustillants.
À travers des aventures aussi pittoresques qu'une partie de cartes dont on ne comprend pas les règles mais qui dure trois jours, ou bien des anecdotes tordantes sur un malheureux qui ne débande jamais, sur un village qui subit une pluie pendant une décennie ou sur un artisan fan de poteries qui cherche à en écouter les sons émis pendant leur fabrication, voire des histoires de piscines transformées en potager et de pompes funèbres organisées en bouge mafieux. Que peut bien trouver le lecteur derrière tout cela ? Avant tout, l'amour à chaque instant : un amour des livres d'abord, de la littérature qui élève, un amour des récits imbriqués ensuite, et surtout ceux qui sont capables de se répondre, et enfin (surtout ?) un amour des sous-entendus graveleux au premier rang desquels la métaphore filée (osons le dire, « métaphore giclée ») autour des pipes donne tout au fait le ton frais, goulu et tonifiant de ce roman.
Mine de rien,
Pierre Raufast m'a encore bien fait marrer avec des idées plus qu'originales qui méritent d'être lues et découvertes, qui méritent le détour tout simplement. Un grand merci donc, évidemment, à l'opération Masse Critique de Babelio, ainsi qu'aux éditions Alma dont je continue à découvrir avec intérêt le catalogue.