Le pouvoir se gagnait peut-être avec des mots, mais pour le conserver, il fallait un sabre.
À quoi bon expliquer que le peuple avait besoin de croire en un principe pour supporter les sacrifices incessants que lui imposait la République ? Car qui payait le prix du sang et de la misère ? Pas les députés qui jacassaient, les riches qui se cachaient ou les affairistes qui prosperaient. .
David avait peur. Peur de la solitude, peur de la misère, peur surtout d’être assassiné. Lors de l’exécution de Marie-Antoinette, il s’était posté sur le passage de la charrette funèbre et avait griffonné à la hâte un portrait de la reine. Violemment amaigrie, les cheveux blanchis et la bouche ignoblement pincée parce qu’on lui avait retiré son dentier. David avait compris que l’humiliation infligée à cette femme serait un jour terrible à payer. Il était revenu de cette mise à mort fasciné et terrifié.
Face à la meute, Bonbon fut le premier à parler. Dans le silence stupéfait qui suivit, sa voix vibra comme un défi:
- Si mon frère est coupable, je le suis aussi...
Maximilien tendit le bras pour le faire taire.
- Je veux partager son sort.
Impitoyable, l'Assemblée qui avait si souvent encensé les deux frères se précipita pour les réunir dans la chute:
- Aux voix, l'arrestation des deux Robespierre !
En politique, ce sont les circonstances qui gouvernent, pas les principes.
Dès les quais, la foule avait commencé à chanter des couplets obscènes mêlés à des chants patriotiques. On entonnait La Carmagnole, composée pour la chute du roi, dont on avait adapté les paroles pour l’agonie de Robespierre :
Monsieur Robespierre avait promis de faire égorger tout Paris,
Mais son coup a manqué, grâce à nos députés.
Dansons la carmagnole, vive le bruit, vive le bruit,
Dansons la carmagnole, vive le bruit du couperet !
Il détestait ces marques de dévotion personnelles. Un peuple libre ne doit pas avoir d'idoles.
- Je veux voir Robespierre!
- Quel morceau?
Tallien ricana.
- J'oubliais, Paris, même révolutionnaire, est toujours l'arbitre des élégances! Ici, on ne massacre pas comme en province, on exécute avec distinction. Avoir la tête tranchée par le couperet, c'est tellement plus raffiné!
Discrètement, Hanriot observait Maximilien. Il se souvenait du moment où il l'avait aperçu pour la première fois, petit député d'Arras au corps frêle et à la voix pâle. Jamais il n'aurait parié un sou sur lui. Or, en moins de quatre ans, il avait mis une royauté à terre, ses adversaires à la fosse commune et, après avoir tout détruit, venait de créer un dieu dont il s'était érigé le grand prêtre. Hanriot s'épongea le front. Parfois la tête lui tournait. Qu'allait faire Robespierre maintenant?