Vice-Vers'Âmes est avant tout un livre dont on dévore l'histoire et qui procure un formidable après-midi d'évasion. Il repose sur une touche de fantastique : un jeune homme d'aujourd'hui, Samuel, et une jeune fille du 19ème siècle, Clémence, se retrouvent dans le corps l'un de l'autre, à la faveur d'une tentative de suicide pour elle (en 1851) et d'une expérience de mort imminente après la prise d'un comprimé d'ecstasy pour lui (en 2017). Chacun sait qu'il n'est pas la personne dont les autres reconnaissent l'apparence, mais chacun se rend compte qu'il va devoir faire preuve d'inventivité pour survivre dans le corps de l'autre sans être taxé de fou, et pour retourner dans son propre corps et sa propre époque.
A chaque lecteur d'interpréter ce ressort narratif comme il le souhaitera : le livre évoque la piste de la rencontre entre thèmes astrals et l'hypothèse que Clémence est une vie antérieure de Samuel. Pour ma part, je ne suis absolument pas adepte du fantastique, mais ce ressort narratif m'a fait penser à celui de
la prisonnière du temps de
Kate Morton, que j'ai également dévoré l'an dernier : la touche de fantastique n'est pas pesante, mais est juste une des caractéristiques du livre, que le lecteur le plus rationnel peut accepter parce qu'il peut y voir un simple artifice narratif, très riche en possibilités.
Dans
Vice-Vers'Âmes, c'est bien de cela qu'il s'agit – pour moi : d'un prétexte pour décentrer le regard sur notre époque. Samuel, notre contemporain, est un brin macho, mais il le sait, et une fois plongé dans le corps d'une femme, à une époque où être un femme contraignait fortement le corps, il est capable de faire formidablement dévier la trajectoire de Clémence. Clémence a souffert du syndrome de Gilles de la Tourette, et sait ce que c'est qu'être exclue de tout : une fois plongée au 21ème siècle, elle amène immédiatement Samuel à humaniser et intensifier fortement ses relations avec les femmes. Au passage, elle s'émerveille de ce que nous ne voyons plus et nous amène à mesurer la chance que nous avons de connaître les nouvelles technologies, les réseaux et la liberté de conduite.
Mais la force supplémentaire de ce roman est de n'être pas juste un prétexte pour nous amener à regarder en face de grandes évolutions auxquelles nous sommes trop habitués pour nous en émerveiller, tout en nous montrant la richesse de la vie psychique que nous avons peut-être négligée. Il met aussi en scène deux jeunes gens qui ont chacun des difficultés relationnelles avec leurs parents et là, aucune époque n'a l'avantage sur l'autre : c'est la relation entre parents et enfants qui est difficile, toujours. Mais en se glissant chacun dans la peau d'enfant d'autres parents, Clémence et Samuel vont subitement trouver les mots pour nouer un dialogue et comprendre la génération précédente, ce qu'ils n'arrivaient pas du tout à faire dans leur propre peau. Dès lors, ce livre a aussi une signification symbolique puissante : devenir adulte, c'est tuer l'enfant qu'on était pour devenir un autre. C'est sortir des relations bloquées et des postures figées (la fille indigne d'être aimée, le garçon qui feint une trop grande assurance) pour se voir autrement, et aussi voir les autres autrement.
Tout cela, on le ressent sans que ce soit explicitement écrit : c'est la structure du roman qui l'induit, qui le signifie implicitement, comme dans les contes qu'a décodés Bettelheim. Et c'est d'autant plus puissant. Au total, un roman divertissant, dont on a follement envie de connaître le dénouement, qui raconte une histoire très particulière avec une portée universelle implicite : l'équation parfaite et une découverte enthousiasmante, pour un livre dont vous ne vous étonnerez pas d'apprendre qu'il ait déjà été couronné par un prix littéraire même en étant auto-édité, le prix de la Plume de Vair 2019 !
(et vous ne m'en voudrez pas si j'ajoute le lien vers ma chronique sur 20 minutes ;-))
Lien :
https://www.20minutes.fr/art..