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Critique de Arakasi


Vous voulez du forban romantique, des îles paradisiaques où dansent les jolies femmes et se balancent les cocotiers, d'héroïques batailles navales, de douces brises marines caressant les voiles apaisées des gréements ? Passez votre chemin : « A bord de l'Etoile Matutine » vous fera l'effet d'une giclée de boyaux en plein visage ! Soyons honnêtes, par rapport aux membres de l'équipage de l'Etoile Matutine, même les flibustiers du redoutable Capitaine Flint de Stevenson passeraient pour des enfants de coeur tout à fait sains d'esprit. C'est qu'il faudrait creuser rudement profond dans la tambouille de l'humanité pour parvenir à découvrir une bande de crapules aussi détraqués, vicieux et violents que les joyeux drilles du Capitaine George Merry. Même le narrateur, embarqué comme mousse à l'âge de quinze ans sur le navire pirate, est un vrai petit psychopathe. Pourquoi pensez-vous qu'il ait pris la mer ? Erreur judiciaire, goût de l'aventure, parents au bord de la famine ? Que nenni ! C'est parce que notre charmant puceau a étranglé une jeune paysanne qui avait refusé de lui montrer le dessous de ses jupes, crime dans l'adolescent n'a jamais éprouvé le moindre remord, à peine une vague déception. Ce qui se cache sous les jupes des filles n'était pas si intéressant que cela, tout compte fait…

C'est donc un monde bien particulier que celui de l'Etoile Matutine, un monde à part où toutes les perversions et les crimes sont permis, peuplé d'individualistes forcenés et souvent à peine plus intelligents que les requins auxquels ils ressemblent tant. Ici, on poignarde un homme pour une simple plaisanterie tout en pleurnichant sur la mort de quatre chiots, on viole femmes et enfants sans une arrière-pensée, on boit en un soir les gains de plusieurs mois, on blasphème Dieu et ses saints, mais on tremble dans le secret de son âme à l'idée des démons de l'Enfer qui viendront tôt ou tard nous chercher – un Enfer marin, bien entendu, rempli de squelettes de pauvres matelots taillés en pièces et de bateaux coulés.

C'est avec une évidente jubilation que Riff Reb's s'est attelé à dessiner ce défilé de sales gueules ravagées, de trognes aux yeux cruels et veules, rongées par l'abus d'alcool et de vices. Par le biais de petits détails graphiques et narratifs, il parvient même à les rendre parfois sympathiques, à révéler l'humain sous la brute, juste assez longtemps pour les prendre en pitié avant que la révulsion ne nous submerge à nouveau. Comme dans les opus suivants de sa trilogie consacrée à la mer, « le loup de mers » et « Hommes à la mer », Reb's excelle dans l'illustration des paysages marins, tous sublimes – qu'il s'agisse de tempêtes déchainées, d'îles couvertes de guano ou de mers étoilées par temps paisible – et contrastant avec l'atmosphère lourde, glauque et claustrophobique du récit. C'est très beau, très soigné et magnifiquement immersif. N'ayant pas lu le roman de base de Pierre Mac Orlan, je ne peux pas me prononcer objectivement sur la qualité de l'adaptation de Riff Reb's, mais, tel quel, son « A bord de l'Etoile Matutine » reste un très bel objet et une aventure passionnante à travers les océans et les recoins les plus noirs de l'âme humaine.
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