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Critique de Tempuslegendae


Écrire un roman, peindre un tableau, composer de la musique, bref s'adonner à un art quel qu'il soit, aux côtés de sa compagne gravement malade, pour elle, pour l'aider à survivre, peut-il être une preuve plus grande que lui prêter une présence charnelle et morale ? Si Éric REINHARDT n'avait pas eu la force d'accepter la demande de sa femme Margot, il n'y aurait pas eu de vrai roman, de belle histoire d'amour et d'attachement au-delà de tout, et nous, lecteurs, serions certainement restés sur une histoire au sel fade, celui de la compassion, de l'attention mesurée, des « petits soins ». Mais là, l'auteur nous entraine dans une magnifique histoire, la sienne, celle vécue avec Marion quelques années plus tôt : il ose tout, défait la pudeur, part dans un véritable « combiné autobiographique » intime, celui d'un amour transcendant. Car si vous lisez bien son récit, vous comprendrez que c'est Marie, cette femme rescapée d'un cancer, rencontrée lors d'un diner d'auteurs, qui lui a donné l'impulsion folle d'écrire son roman. Il aime Marie, il a envie de lui faire l'amour, mais c'est sa femme qu'il voit à travers elle. Ce n'est pas de l'adultère, mais au pire du fantasme. Á partir de ce moment-là, c'est la plume qui entre en combat. Un combat mené pour deux. Certes, Margot lui avait cette demande d'écrire pour les aider à survivre, mais il lui fallait une motivation extérieure, presque fortuite. Elle est là. Et entre en scène l'histoire du double : celle de Nicolas et Mathilde. Parfois, je me demande s'il n'aurait pas été préférable que le récit reste entièrement autobiographique. J'ai même cru, à un moment donné, que cette « bifurcation » lui fut nécessaire afin de rendre son vécu plus crédible dans l'esprit du lecteur. C'est peut-être dommage, je ne sais pas …
Le thème de la sexualité dans le couple, en pareil cas, est magnifiquement décrit. On peut presque tout dire avec les mots, en voici une délicate illustration dans sa prose : « La sexualité conjugale englobe aussi la rêverie sexuelle ; le désir non réalisé, suspendu, émerveillé de lui-même. Avoir envie de faire l'amour, mais ne pas le faire. Se sentir fort de ce désir intériorisé. Ça, c'est l'une des vérités méconnues de la vie de couple. » La description du fantasme, parce qu'il le vivra, est quasi-parfaite : l'amour fantasmé est bien meilleur, bien plus beau que l'amour vécu. Ne pas passer à l'acte est, dans le fond, très excitant. Rien n'est dit vraiment, tout est implicite, c'est encore au lecteur à faire l'effort de comprendre. N'est-ce pas Fédérico Fellini qui aurait dit, à juste titre : « Un homme n'épouse jamais son fantasme. » ?
Nulle intention pour moi de vous livrer un résumé de ce livre. de plus, aurait-il été vraiment bon, conforme à ce qu'il faut en tirer ? C'est une histoire faites de ressentis, d'émotions, de frissons. C'est à vous de lire, de souligner ce qui paraît important, ou pas, de mesurer à quel point la maladie met à l'épreuve l'amour, l'amitié, les rapports en général. Car c'est vrai qu'elle révèle des peurs, des manques, une bravoure insoupçonnée, d'insondables forces, mais pas seulement pour le malade, pour celui qui veille aussi. La lecture de ce roman m'a rappelé une phrase importante écrite par Virginia Woolf, à une époque où, elle aussi, croyait que l'écriture était une véritable thérapie, et le prêchait à haute voix : « Ai-je le pouvoir de rendre la véritable réalité ? Ou écris-je des essais sur moi-même ? » Mais revenons au roman, je pense qu'Éric Reinhardt se décrit lui-même, plus que sa relation avec Margot. Que dis-je ? Il passe son temps à ça. Á se justifier, à tenter de se comprendre, parfois. Il fait ressortir l'«artiste romantique» qu'il croit être, ou du moins qu'il suggère au lecteur. Sa fascination pour la beauté, l'amour et la maladie s'y entrelacent jusqu'au sublime : « Je suis venu pour m'abîmer en vous, je serai votre force, vous allez vivre. » Et Margot, elle, a besoin de se battre contre autre chose que sa maladie : elle guérira si son époux accepte de se battre avec l'écriture. Se sont-ils vraiment compris ? Je ne pensais pas qu'il était possible, du moins à ce point et en telle circonstance, de basculer de l'autobiographie à la fiction. Je suis toujours en train de rechercher la raison pour laquelle l'auteur a eu besoin de se servir de l'histoire de Mathilde et Nicolas. La sienne ne lui suffisait-elle pas ? de ce roman, je retiendrai surtout l'exercice de style, très compliqué, subtil, osé, et le « mélange de genres ». Maintenant, dire qu'on ne peut ressortir indemne après la lecture de ce roman serait un peu exagéré, en tout cas ce n'est pas ce n'est pas ce que j'ai ressenti. Suis-je peut-être un lecteur au « délicieux désordre intérieur » ?
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