Ce soir-là, sur une tombe grise et anonyme, Cyril Chirot mourut à son tour. Je l’assassinai de mes propres mains.
Je ne voulais plus être cet homme qui avait rêvé d’une jolie maison et d’un chien duveteux à caresser les soirs de pluie avec son compagnon. Ce Cyril avait vu le futur lui tendre les bras. Le nouveau n’avait plus que sa haine pour le réchauffer. La rage n’est ni tiède ni apaisante. Elle vous consume, vous dévore. Ce que vous êtes, qui vous êtes, et tout ce que vous aviez prévu de faire ou d’être.
Les illusions sont comme les papillons de nuit : attirées par les lumières artificielles. Elles ne s’épanouissent que dans l’obscurité et le doute. Elles ne sont pas tangibles et il est impossible de s’en saisir. Les illusions flottent à la limite de ce quelque chose, de cette conscience où tout se brouille. Elles sont parfois vénéneuses, et pourtant on ne peut en détourner le regard, au risque de se laisser happer par leur parfum suave et toxique. Les contempler, c’est se retrouver piégé devant la danse lascive d’un serpent doré, si hypnotique qu’on en vient à espérer sa morsure autant qu’à la redouter.
J’avais été un adolescent sportif, je devenais un homme dangereux.
La patience est une vertu rare. Précieuse. Elle apaise les cœurs autant qu’elle attise les rancunes. La patience est froide, lente, mesurée, pleine de retenue. Elle tend vers un but au rythme tortueux et mesuré des détours de l’âme humaine. La patience est une voie difficile, mais aussi celle de toutes les satisfactions. Elle est la voie du temps, du discernement ; contrairement à la hâte qui ne se dévore que dans la passion et le tourment.
La patience vous ronge de son acide, de cette amertume de laisser filer à chaque jour qui se couche une nouvelle chance. Mais elle vous récompense par là-même de ses enseignements et des occasions qu’elle construit pour vous. Elle est l’arme et la vertu des forts, de ceux qui savent se contrôler, de ceux qui savent résister. Dans sa grande sagesse, elle trace des chemins détournés que l’œil hâtif aurait été bien en peine d’aviser.
Et tout le monde sait que les papillons de nuit ne peuvent pas vivre en pleine lumière.
Je me dirais que j’avais fait ça pour défoncer le crâne d’un de ces fumiers de néonazis. Que c’était une vengeance pour tous ces négros, ces pédés, ces youpins, tous ces êtres humains que ma victime avait abattus par jeu.
Mais pas à l’instant présent…
Qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse. Qu’importe le coupable pourvu qu’on ait la vengeance.
je jurai silencieusement à Raf de venger sa mort. Tout comme je me promis que cette larme serait la dernière. Je n’avais déposé ni fleur ni pelletée de terre sur son corps froid. Je n’avais que cette gouttelette amère à lui offrir.
Qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse. Qu’importe le coupable pourvu qu’on ait la vengeance.
Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler,
À être compris qu’à comprendre,
À être aimé qu’à aimer.
Car c’est en se donnant qu’on reçoit,
C’est en s’oubliant qu’on se retrouve,
C’est en pardonnant qu’on est pardonné,
C’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie.