L'Empathie

[SPOIL]

— Anthony Rauch officie au 2e district de police judiciaire, dans un service surnommé la brigade du viol. Il y est capitaine de police, ses responsabilités sont importantes. Vous allez maintenant voir ce que j'ai trouvé chez lui.

Alpha s'approcha alors du tiroir ouvert ; avec les boîtes et la plaquette d'Androcur.

— Pour tous ceux qui l'ignorent, il s'agit d'un médicament qui supprime les hormones mâles chez les hommes qui le prennent. Un médicament bien connu des délinquants sexuels de certains pays, là où la castration chimique est légalisée.

» J'affirme qu'Anthony Rauch prend régulièrement ce médicament ; j'affirme qu'Anthony Rauch se castre chimiquement ; et qu'il est vraisemblablement un délinquant sexuel.

» J'engage les autorités françaises à faire immédiatement la preuve ou non de ce que j'affirme. A démontrer si un violeur se cache dans les rangs de la police et les déshonore tous. Une prise de sang, avec analyse ciblée, suffira à démontrer que je dis vrai.

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— On ne naît pas tueur ou violeur en série, on le devient, j'en suis persuadé. Et il faut compter quinze à vingt ans pour construire la personnalité de ce type de criminels. Une fois devenus actifs, effectivement ils ne développent plus de remords vis-à-vis de leurs victimes. Elles ne sont à leurs yeux, que des objets destinés à assouvir leurs fantasmes. Leur seule véritable crainte est de faire attraper.

Gilbert Poupon s'approcha encore de la Poire, en accentuant son intérêt.

— Vous dîtes que l'on devient psychopathe. Comment le devient-on ?

La Poire entrouvrit la bouche pour répondre, avant de se raviser. Il porta son verre à ses lèvres, davantage pour les humecter que pour boire, et hésita un instant.

— Une enfance bancale est à la source du problème, forcément. Avant de devenir des bourreaux, ils ont été des victimes. Subissant des abus, physiques, psychologiques ou sexuels. Si tous les enfants qui subissent de telles maltraitances ne finissent pas psychopathes – loin de là, précisa-t-il, et heureusement ! –, presque tous ces derniers ont eu une enfance terrible. Les premiers liens affectifs sont déterminants pour la suite.

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Les chiffres faisaient peur : en France, 75 000 viols avaient lieu chaque année, soit 206 par jour ; 1 femme sur 6 serait victime d'un viol au cours de sa vie, ou d'une tentative de viol ; 80% des victimes étaient bien entendu des femmes.

La moitié de ces victimes l'était de façon répétée avec, dans 8 cas sur 10, un agresseur qu'elles connaissaient bien : un ami de la famille, membre de la famille... Et tous les milieux étaient touchés, prolos comme bourgeois, anonymes comme grands de ce monde...

Enfin et surtout, 90% des femmes violées ne porteraient pas plainte.

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La suite de ce passage à la station-service – très court, pourtant – allait marquer Marion pour toute sa vie, comme un fatal acte manqué ; une terrible occasion perdue. Peut-être autant que les viols, que la séquestration, que le manque de ses parents et la peur de mourir, ce moment la marquerait car il aurait pu lui permettre d'éviter tout le reste. Elle en prit conscience très vite, et cette certitude ne fit que croître avec les années et son âge avançant. Et jamais, depuis, elle n'avait réussi à se le pardonner.

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Il aimait ces promenades contemplatives. La traque, passive, car il ne cherchait pas à tout prix. Il attendait la bonne personne et ne voulait rien provoquer. Agir. Patienter. Renoncer. Il aimait que le hasard fasse son œuvre et le serve, lui, au détriment de sa victime.

Le soleil déclinait à l'horizon. Une lumière aux tons chauds, extrêmement vive, qui remplissait tout le boulevard et le contraignait à plisser les yeux. La chaleur était encore là en cette fin août. Lorsqu'il levait la tête, il distinguait les innombrables fenêtres ouvertes, autant de possibilités pour lui de passer à l'action. Il aimait ça. Non qu`ouvrir une porte fermée lui eût été difficile ; il savait parfaitement le faire, et même dans un relatif silence. Mais il adorait semer la crainte, et surtout le remords. Que ces gens repensent à leur imprudence, ressassent leur naïveté : ils avaient délibérément laissé l'entrée ouverte, et le Mal s'était faufilé. Leur part de responsabilité, bien réelle, les tourmenterait jusqu'à la fin de leur existence, et cette pensée réjouissait Alpha.

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Il comptait laisser libre cours à ses pulsions. Continuer sur sa lancée. Il avait commencé avec ce couple, rue de Malte, sans plan défini. Sans effectuer aucun repérage. Au cours de la première nuit où il se promenait, il avait aperçu la femme par une fenêtre éclairée et ouverte.

Son seul critère était un nombre d'étages suffisamment élevé. Il tenait à ce que ce soit très haut, et à ce que son action en soit encore plus remarquable. Il ignorait la présence du mari, même s'il l'avait envisagée. Et tout s'était mis en place, naturellement et parfaitement. L'homme faible avait assisté au viol de son épouse. Leurs vies ne seraient plus jamais les mêmes. Vies qu'il leur avait laissées. La mort eût été trop simple, trop inutile ; désormais et jusqu'au bout, ils vivraient avec ce souvenir.

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Elle racontait son agression comme si elle en avait été le témoin. Etrangement, elle en revoyait chaque détail avec un regard extérieur, comme une scène dont elle aurait été la spectatrice. Comme si ce n'était pas elle qui avait vécu tout ça. Une autre femme. Une autre Déborah.

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Je n'ai pas besoin de me rendre à son enterrement pour me souvenir de ton père, reprit-elle plus doucement.Ilreste dans mon cœur . Ce genre de commémoration est faite pour les vivants ;les morts,au fond, s'en fichent ou bien ils savent.

Dans ce roman très noir, nous suivons essentiellement la trajectoire de trois personnages: Anthony et Marion, deux flics, et Alpha, l'homme qu'ils traquent, transformant Paris en une immense scène de crimes plus odieux les uns que les autres. Jusqu'où va aller cette course-poursuite? Quels démons intimes Anthony et Marion traquent-ils également, malgré une habile dissimulation ?

Mon avis: mitigé.
Tout d'abord le roman bénéficie d'une très belle plume, à la fois sensible, percutante et fluide. C'est l'un des points forts du livre.
Ensuite, j'ai apprécié cette immersion dans la psychologie des deux policiers, la découverte de leurs secrets. Concernant celui d'Anthony, dont on apprend rapidement que son physique atypique est dû à un traitement hormonal, j'avais une hypothèse en tête mais j'étais loin de la vérité ! Tous deux sont touchants, ainsi que leur lien d'amitié.
En revanche, j'ai trouvé qu'il manquait quelque chose au niveau de l'intrigue. Il s'agit de la longue traque d'un criminel qui ne dénoterait pas dans un film de science-fiction tant il est "fort", escaladant les immeubles, doté d'une puissance physique à toute épreuve. Il n'y a pas de rebondissements majeurs.
En revanche, la surenchère de violence et le crescendo dans l'horreur des sévices décrits m'ont dérangée.
Un roman très très noir, incontestablement bien écrit... Mais pas de coup de cœur en ce qui me concerne.

Une fois rentrée chez lui, il sombra rapidement dans un sommeil peu réparateur, duquel il immergea, en nage, à trois ou quatre reprises pendant la nuit. Terrifié.
Certains de ses morts lui rendirent visite, cette nuit là.