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Critique de Kirzy


Il y a des choses que je ne m'explique pas. Lors de leur sortie respective, j'ai eu très envie de lire les deux précédents romans d'Antoine Renand ( L'Empathie, Fermer les yeux ), attirée par les excellents retours, quasi unanimes, sur Babelio ... mais je ne l'ai bizarrement pas fait. Je me rattrape donc avec le troisième.

J'ai adoré toute la première partie. L'auteur prend le temps de poser son récit en l'ancrant au plus près de ses personnages, avec un soin extrême apporté à la véracité psychologique de chacun, avec une empathie qui déteint immédiatement sur le lecteur. Dès les premières pages, une réelle émotion traverse les pages et se diffuse. On est avec Ambre, jeune fille de 17 ans, en conflit avec sa mère, qui fugue avec son petit-ami et fait escale chez un homme qu'elle n'a jamais rencontré mais avec lequel elle discute virtuellement depuis des mois en se confiant à lui. On est avec Arthur, quadragénaire mal en point après un mariage effondré, réalisateur de cinéma sans succès, contraint à prendre un job alimentaire.

Le procédé consistant à alterner les deux arcs narratifs est courant en littérature, mais là, il prend toute son ampleur car on cherche vraiment à comprendre comment le cauchemar vécu par Ambre va se télescoper avec la descente aux enfers d'Arthur devenu modérateur de contenu pour un réseau social ressemblant sacrément à Facebook. C'est suffoquant de découvrir les conséquences terribles de la fugue d'Ambre, désormais cernée par une violence quotidienne vécue dans sa chair, de laquelle elle ne peut s'échapper, alors qu'Arthur, lui, assiste impuissant en tant qu'éboueur du web à la pire violence du monde, de décapitations perpétrées par Daesh à des viols d'enfants, avec forcément des répercussions de type post-traumatiques en train de se mettre en place.

Antoine Renand a sans doute vu le reportage de Cash Investigation «  dans la peau d'un modérateur Facebook », diffusé en 2019. Et c'est une excellente idée que d'en avoir fait le coeur de son roman, le point de collision irréversible. le métier de modérateur de contenu est décrit quasi sociologiquement, avec un humour froid et décapant soulignant le cynisme des géants des réseaux sociaux qui passe par des sous-traitants pour recruter les personnes chargés de faire le ménage sur leur plate-forme, leur hypocrisie aussi dans la gestion des images violentes qui leur parviennent après avoir été signalées.

L'ultra violence de la société 2.0 est au coeur du roman, qu'elle soit cachée, affichée, virtuelle ou réelle. Si on peut supprimer une vidéo violente, on ne peut supprimer la violence des hommes. Au mitan du roman, la mécanique se met en branle pour faire se percuter très habilement l'histoire d'Ambre et celle d'Arthur. Tous les petits indices, informations, personnages secondaires, concourent à nourrir une intrigue millimétrée.

L'impact de l'exposition continue à la violence explose. On ne peut être exposé à une violence dégueulasse sans que des images épouvantables ne s'incrustent dans votre cerveau, ne vous détruisent psychologiquement jusqu'à vous entraîner dans des actions dangereuses que vous n'étiez pas destinés à accomplir. le rythme s'accélère dans l'action pure et dure, tient en haleine, éclairant le titre-précepte ( excellemment choisi ), même si pour ma part, c'est clairement toute la partie initiale d'exposition qui m'a le plus happée, la deuxième est plus classique dans son déroulé bien que s'engouffrant sur des chemins inattendus.

Un thriller parfaitement maitrisé, sombre, très sombre mais profondément incarné par des personnages forts devant prendre des décisions radicales s'ils veulent survivre physiquement ou psychiquement, quitte à basculer dans une vengeance politiquement incorrecte mais légitime.

PS : l'année dernière, dans le cadre d'une affaire judiciaire alléguant que l'entreprise n'avait pas correctement évalué les risques d'une exposition constante à des contenus violents pour la santé mentale, Facebook a annoncé qu'il allait dégager la somme de 52 millions de dollars afin d'indemniser les plus de 10.000 modérateurs oeuvrant sur sa plateforme.
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