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Critique de Malaura


Qui n'a pas eu un jour ou l'autre l'idée fugace, le désir insensé, de disparaître pour toujours, de partir pour ne jamais revenir?
Fermer la porte un beau matin, irrévocablement. Marcher sans se retourner. Aller droit devant. Et s'évaporer tout doucement, comme la rosée du matin sous le souffle tiède d'un soleil naissant. Disséminer aux quatre vents les choses qui vous parlaient de vous, devenir un autre, sans passé, sans mémoire, étranger à vous-même et aux autres, repartir de zéro dépouillé de tout ce qui faisait votre identité. Votre nom, votre maison, votre travail, votre famille…à jamais effacés.

Au Japon, nombreux sont ceux qui prennent la fuite sans explication. On les appelle « les Johatsu », les évaporés.
Considérée comme une fugue, leur disparition n'entraîne aucune enquête policière et pour les familles, le silence qui entoure cet acte déshonorant les décourage bien souvent d'entreprendre des recherches.
Pourtant, les motifs qui poussent un individu à abandonner son foyer incombent rarement à un désir impérieux de changement.
La récession des années 1990, l'endettement auprès d'organismes criminels, la crise, le chômage ainsi que l'ampleur du désastre de Fukushima, ont accru cette pratique ancestrale remontant à l'époque Edo, quand voleurs et criminels venaient se purifier aux sources du Mont Fuji et disparaissaient dans les vapeurs d'eau chaude.
Depuis le tsunami et la catastrophe nucléaire de 2012, de nombreux japonais accablés de dettes, à la dérive, jetés sur les routes, n'ont eu d'autre choix que celui de l'exil.

« Parfois, pour survivre, il faut partir ».
Partir, c'est ce que se résout à faire Kaze, honorable salaryman de Tokyo, après avoir été l'intervenant involontaire de scandaleuses spéculations pour la grosse société d'investissements pour laquelle il travaille. Devenu gênant, il est mis sur la touche et licencié. Menacé par la pègre, il comprend que pour protéger sa femme et préserver sa vie, il lui faut désormais devenir l'un des nombreux fantômes sans nom et sans passé qui hantent le Japon.
Lorsqu'elle apprend la nouvelle de sa disparition sa fille Yukiko, installée aux Etats-Unis depuis dix ans, s'envole immédiatement pour le Japon. Elle est accompagnée de son ancien compagnon, le détective et poète Richard B., qui, dans l'espoir de la reconquérir, a accepté de l'aider à retrouver son père.
A Tokyo, alors que Yukiko renoue avec ses racines, Richard lui, découvre la complexité d'un monde intrigant et fascinant, tandis que dans son errance anonyme, Kaze croise la route d'Akainu - un jeune garçon qui a perdu sa famille dans le chaos du tsunami - et qu'ensemble, ils entreprennent de gagner le nord du pays.
Richard, Kaze, Yukiko, Akainu, ces quatre personnages qui incarnent chacun à leur manière une forme de fuite, entre espoir et peur, quête d'amour, de justice ou des origines, vont nous faire approcher la civilisation japonaise dans toutes ses énigmes et tous ses paradoxes, dans toute la fantasmagorie que cette société mystérieuse et déconcertante inspire.

Sous l'égide du poète et écrivain Richard Brautigan, auquel il rend hommage à travers le détective amoureux Richard B., Thomas B. Reverdy nous fait partager un peu du mystère nippon. Il nous ouvre les portes d'une terre pleine de séduction et de singularité, nous fait pénétrer au coeur d'une société en perpétuel équilibre entre tradition et modernité, sur la ligne de faille entre le raffinement et l'élégance de son cérémonial et la violence de ses règles, entre la soumission à des codes sociaux ancestraux et l'attrait du mouvement et du modernisme. Deux univers parallèles qui se superposent, cohabitent, s'entremêlent sans jamais toutefois se confondre ou se rejoindre tout à fait.
Des Familles disloquées, des maisons en ruine, des recruteurs de main d'oeuvre bon-marché, des quartiers miséreux, des camps de réfugiés, des montagnes de détritus radioactifs dans la zone sinistrée de Fukushima, des entreprises de sous-traitance, des hommes corrompus pour qui « la misère est une énergie renouvelable »… Thomas B. Reverdy nous donne une vision pourtant bien sombre et terrible du Japon un an après la triple tragédie.
Malgré tout, le récit baigne dans une ambiance évanescente et délicate qui a la douceur crépusculaire et la puissance d'envoûtement d'un songe doux-amer.
Nimbé d'opalescente beauté, d'une poésie claire et mélodieuse, le roman est ainsi comme un voyage au coeur d'un monde flottant, à la fois fortement ambivalent et vivement enchanteur.
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