AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782290093535
317 pages
J'ai lu (06/05/2015)
3.59/5   637 notes
Résumé :
Ici, lorsque quelqu’un disparaît, on dit simplement qu’il s’est évaporé, personne ne le recherche, ni la police parce qu’il n’y a pas de crime, ni la famille parce qu’elle est déshonorée.
Partir sans donner d’explication, c’est précisément ce que Kaze a fait cette nuit-là. Comment peut-on s’évaporer si facilement? Et pour quelles raisons?
C’est ce qu’aimerait comprendre Richard B. en accompagnant Yukiko au Japon pour retrouver son père, Kaze. Pour ce... >Voir plus
Que lire après Les évaporésVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (178) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 637 notes
Qui n'a pas eu un jour ou l'autre l'idée fugace, le désir insensé, de disparaître pour toujours, de partir pour ne jamais revenir?
Fermer la porte un beau matin, irrévocablement. Marcher sans se retourner. Aller droit devant. Et s'évaporer tout doucement, comme la rosée du matin sous le souffle tiède d'un soleil naissant. Disséminer aux quatre vents les choses qui vous parlaient de vous, devenir un autre, sans passé, sans mémoire, étranger à vous-même et aux autres, repartir de zéro dépouillé de tout ce qui faisait votre identité. Votre nom, votre maison, votre travail, votre famille…à jamais effacés.

Au Japon, nombreux sont ceux qui prennent la fuite sans explication. On les appelle « les Johatsu », les évaporés.
Considérée comme une fugue, leur disparition n'entraîne aucune enquête policière et pour les familles, le silence qui entoure cet acte déshonorant les décourage bien souvent d'entreprendre des recherches.
Pourtant, les motifs qui poussent un individu à abandonner son foyer incombent rarement à un désir impérieux de changement.
La récession des années 1990, l'endettement auprès d'organismes criminels, la crise, le chômage ainsi que l'ampleur du désastre de Fukushima, ont accru cette pratique ancestrale remontant à l'époque Edo, quand voleurs et criminels venaient se purifier aux sources du Mont Fuji et disparaissaient dans les vapeurs d'eau chaude.
Depuis le tsunami et la catastrophe nucléaire de 2012, de nombreux japonais accablés de dettes, à la dérive, jetés sur les routes, n'ont eu d'autre choix que celui de l'exil.

« Parfois, pour survivre, il faut partir ».
Partir, c'est ce que se résout à faire Kaze, honorable salaryman de Tokyo, après avoir été l'intervenant involontaire de scandaleuses spéculations pour la grosse société d'investissements pour laquelle il travaille. Devenu gênant, il est mis sur la touche et licencié. Menacé par la pègre, il comprend que pour protéger sa femme et préserver sa vie, il lui faut désormais devenir l'un des nombreux fantômes sans nom et sans passé qui hantent le Japon.
Lorsqu'elle apprend la nouvelle de sa disparition sa fille Yukiko, installée aux Etats-Unis depuis dix ans, s'envole immédiatement pour le Japon. Elle est accompagnée de son ancien compagnon, le détective et poète Richard B., qui, dans l'espoir de la reconquérir, a accepté de l'aider à retrouver son père.
A Tokyo, alors que Yukiko renoue avec ses racines, Richard lui, découvre la complexité d'un monde intrigant et fascinant, tandis que dans son errance anonyme, Kaze croise la route d'Akainu - un jeune garçon qui a perdu sa famille dans le chaos du tsunami - et qu'ensemble, ils entreprennent de gagner le nord du pays.
Richard, Kaze, Yukiko, Akainu, ces quatre personnages qui incarnent chacun à leur manière une forme de fuite, entre espoir et peur, quête d'amour, de justice ou des origines, vont nous faire approcher la civilisation japonaise dans toutes ses énigmes et tous ses paradoxes, dans toute la fantasmagorie que cette société mystérieuse et déconcertante inspire.

Sous l'égide du poète et écrivain Richard Brautigan, auquel il rend hommage à travers le détective amoureux Richard B., Thomas B. Reverdy nous fait partager un peu du mystère nippon. Il nous ouvre les portes d'une terre pleine de séduction et de singularité, nous fait pénétrer au coeur d'une société en perpétuel équilibre entre tradition et modernité, sur la ligne de faille entre le raffinement et l'élégance de son cérémonial et la violence de ses règles, entre la soumission à des codes sociaux ancestraux et l'attrait du mouvement et du modernisme. Deux univers parallèles qui se superposent, cohabitent, s'entremêlent sans jamais toutefois se confondre ou se rejoindre tout à fait.
Des Familles disloquées, des maisons en ruine, des recruteurs de main d'oeuvre bon-marché, des quartiers miséreux, des camps de réfugiés, des montagnes de détritus radioactifs dans la zone sinistrée de Fukushima, des entreprises de sous-traitance, des hommes corrompus pour qui « la misère est une énergie renouvelable »… Thomas B. Reverdy nous donne une vision pourtant bien sombre et terrible du Japon un an après la triple tragédie.
Malgré tout, le récit baigne dans une ambiance évanescente et délicate qui a la douceur crépusculaire et la puissance d'envoûtement d'un songe doux-amer.
Nimbé d'opalescente beauté, d'une poésie claire et mélodieuse, le roman est ainsi comme un voyage au coeur d'un monde flottant, à la fois fortement ambivalent et vivement enchanteur.
Commenter  J’apprécie          808
"Je ne mettrai plus les chaussons"... C'est la seule phrase qui lui vient à l'esprit en cette nuit froide. Kazehiro ne trouve pas d'autres mots pour expliquer à sa femme qu'il ne rentrera plus à la maison. Il dépose ses clés et son portefeuille, prend l'argent qu'il a retiré, ses trois cartons qui contiennent toute sa vie et s'enfonce dans la nuit noire, à l'heure où tout le monde dort encore. Il s'en va. Tout simplement. Il s'évapore dans la nature. Comme tant d'autres l'ont fait avant lui, pour échapper à leurs dettes. Mais, Kaze, comme il se fait appeler maintenant, va essayer de comprendre pourquoi son patron l'a viré du jour au lendemain. En chemin, il rencontrera le jeune Akainu, victime de Fukushima et qui a perdu ses parents...
A des milliers de kilomètres de là, Richard B., détective privé et poète à ses heures perdues, s'apprête à quitter son quartier de North Beach. Parce qu'il n'a pas su dire non à Yukiko, son ancienne petite amie qui lui a demandé de l'accompagner au Japon, son pays natal qu'elle n'a pas revu depuis une dizaine années. Il va l'aider à retrouver son papa qui a disparu sans crier gare et essayer de comprendre son geste...

Dans ce roman empreint de nostalgie et de rêverie, Thomas B. Reverdy décrit une société japonaise où les évaporés semblent tenir une place importante. Déshonorant les leurs et fuyant leurs responsabilités, ces hommes et ces femmes sont souvent rejetés par la société. L'auteur aborde ici des thèmes essentiels tels que la tragédie de Fukushima, la fuite en avant ou bien encore la recherche d'identité en la personne de Yukiko qui a bien du mal à se trouver une place en ce monde. Kaze, Yukiko, Akainu ou Richard, chacun à leur manière incarne une fuite. L'auteur nous emmène loin de nos contrées familières. Porté par une écriture sobre, tout à la fois poétique et tragique, ce voyage au bout du monde se révèle bien mystérieux.

Les évaporés... tout en légèreté...
Commenter  J’apprécie          740
Kazechiro travaille dans une banque, où il gère les portefeuilles de gros clients. Il a toute la confiance de son supérieur qui le convoque un jour pour déjeuner dans un endroit raffiné. Il pense qu'il va recevoir une promotion et au lieu de cela, le patron le licencie.

Il cherche à comprendre quelle faute il a pu commettre pour expliquer la situation et fouille dans ses dossiers. Il comprend bientôt que ce n'est pas lui qui a commis des erreurs mais qu'on le soupçonne d'avoir mis à jours des actions frauduleuses, comme le confirme les menaces qu'il reçoit des Yakusas.

Il décide de disparaître en emportant ses dossiers et devient ainsi un « évaporé » Johatsu en japonais. Il quitte tout, famille, maison change de nom. Sa femme inquiète appelle leur fille Yukiko partie, il y a plusieurs années en Californie.

En même temps, Akainu, un adolescent de quatorze ans qui a fui le nord du Japon à la suite du tsunami où sa famille a disparu, est témoin d'un meurtre : le gérant d'un magasin qui ne voulait pas payer la « protection » des Yakusa se fait assassiner. Akainu est obligé de fuir car sa vie est en danger. Il s'évapore lui-aussi et fait la connaissance de Kaze (la nouvelle identité de Kazechiro.

Yukiko décide de revenir au Japon et emmène avec elle son ancien petit ami toujours amoureux d'elle, poète et détective Richard B pour qu'il l'aide à retrouver son père.

Nous allons donc suivre le destin de cet homme et du jeune garçon et leur aventure vers la recherche de la vérité sur fond de Mafia japonaise, tsunami catastrophe nucléaire tandis que Richard B essaie de les retrouver……





Ce que j'en pense :



Ce roman est époustouflant à plus d'un titre. D'abord la notion d « évaporation » qui serait impossible chez nous. On peut d'évanouir dans la nature sans que personne ne fasse quoi que ce soit : la police ne fait pas de recherche car la famille se sent déshonorée donc ne demande pas d'aide. C'est une solution qui permet d'échapper aux dettes pour les personnes qui ont tout perdu lors du tsunami et ont encore les traites de la maison à payer alors qu'ils n'ont plus rien.

On peut faire le parallèle avec le deuil : peut-on oublier quelqu'un qui a disparu, on ne sait rien il peut être vivant ou mort donc comment entamer un travail de deuil.

Il y a le deuil de l'identité : un évaporé n'est plus rien, il a changé de nom, tout un pan de sa vie est partie et sa famille avec.

Reverdy évoque aussi les fugues des adolescents : celle de Yukiko qui a quitté la maison de ses parents quand elle était ado mais aussi sa grande fugue quand elle est partie vivre en Californie. En parallèle la fuite d'Akainu, il pense que se parents sont morts, donc il part loin des lieux du drame pour survivre et aussi pour ne pas connaître la vérité. « il faut que vous sachiez d'abord, qu'ici, au Japon un adulte a le droit de disparaître… c'est comme une fugue. On dit « yonige », ça veut dire « fuite de nuit ». Dans le fond, c'est une sorte de déménagement, mais sans laisser d'adresse. » P 173

D'un autre côté, qui n'a pas été tenté dans son existence de disparaître ainsi, sans laisser de traces, abandonnant un part de sa vie dont on ne veut plus. Mais, ici c'est une question de vie ou de mort, de survie alors qu'en Occident, c'est échapper à un mode de vie qui ne convient plus, donc deux univers totalement différents.

L'auteur décrit très bien l'évolution du Japon après le tsunami qui a emporté tout sur son passage, les biens matériels mais aussi le mode de vie, la culture, une civilisation qui s'envole elle-aussi. Les habitants qui ont tout perdu sont devenus des réfugiés dans leur propre pays.

Il y a d'un côté la gestion catastrophique du tsunami, car le gouvernement a tout minimiser, le nombre de morts, de disparus, mais aussi les malversations, les aides détournées, les spéculations. le pays croule sous l'eau, la boue, les ruines et certains ne pensent qu'à s'enrichir. Il y a aussi ceux qu'on envoie nettoyer, débarrasser les maisons et qui reçoivent des irradiations dont le taux rappelle Tchernobyl.

On note l'omniprésence des Yakusas que certains défendent car ils représentent une forme d'ordre, de famille toute puissante. (C'est tellement rassurant quelqu'un qui se conduit en dictateur et fait régner la terreur. «Au Japon, les sociétés de crédit sont détenues par les Yakusas. Quand les gens ne peuvent plus payer, ils exercent des pressions, ils menacent. E ne sont pas des banquiers, les gars… Les Yakusas sont partout. Les politiques leur ont vendu le pays. P 218

On pense toujours au Japon, comme à la patrie de la sagesse : les temples, les grands Maîtres de méditation (Deshimaru, Dôgen…) la cérémonie du thé, la lenteur et là on trouve la violence.

Il y a des chapitres savoureux par exemple un rêve de Kyoto où toute l'histoire du Japon défile, les Samouraïs, les femmes en Kimono… Ou un rêve de Fukushima, chapitre superbe sur la désolation les détritus la vision apocalyptique de fin du monde.

L'auteur nous montre l'évolution de Yukiko, avec son immense chevelure noire qui la recouvre comme une vague. Il y a une belle scène d'amour entre elle et Richard, mais y a-t-il un avenir pour eux. le détective fait des rencontres savoureuses en cherchant Kaze, il rencontre un journaliste qui a fait un travail sur « les évaporés » et également un vieux Fraçais qui lui explique la genèse des Yakusas.

Enfin, je retiendrai le clin d'oeil de Thomas B. Reverdy à un écrivain qu'il admire : le nom de notre détective américain Richard B fait référence à Richard Brautigan dont il cite au passage quelques vers qui sont écrits en italique dans le texte.

C'est le premier roman de Thomas B. Reverdy que je lis et c'est un festival, une pépite, tant il est plein de poésie malgré la violence de la situation. L'écriture est belle, déliée. Il nous entraîne avec lui dans ce Japon en ruine qui ne sait plus bien où son ses repères et quel son avenir. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce roman, donc foncez, lisez-le, vous ferez un voyage magnifique.

J'avoue une fascination pour ce pays, depuis que j'ai découvert les grands Maîtres de méditation et Kawabata mais que je connais si mal et l'auteur m'a confortée dans mon désir d'approfondir sa culture et son histoire.



Note : 9/10
Lien : http://eveyeshe.canalblog.co..
Commenter  J’apprécie          676

C'est l'histoire du Japon d'aujourd'hui. C'est l'histoire d'un homme qui choisit de disparaître. C'est l'histoire d'un pays en pleine mutation. C'est l'histoire d'un homme qui décide de changer de vie. C'est l'histoire d'un pays dévasté par la catastrophe de Fukushima. C'est l'histoire d'une fille qui veut retrouver son père. C'est l'histoire d'un pays gangréné par les yakusas. C'est l'histoire d'un homme qui décide de tout quitter. C'est l'histoire d'un amour terminé. C'est l'histoire d'un détective américain qui part au Japon sur les traces du père de son ancien amour. C'est l'histoire d'un gamin désoeuvré. C'est l'histoire de plusieurs solitudes. C'est l'histoire d'hommes et de femmes qui tentent de se reconstruire. C'est l'histoire d'hommes qui ont choisi de devenir des évaporés…

"Il faut que vous sachiez d'abord qu'ici, au Japon, un adulte a légalement le droit de disparaître.
- Il n'y a pas d'enquêtes de police.
- C'est comme une fugue. On dit yonige, ça veut dire "fuite de nuit". Dans le fond, c'est une sorte de déménagement, mais sans laisser d'adresse."

Kaze fait le choix de disparaitre en pleine nuit, comme le font des milliers de japonais chaque année. Sa fille, Yukiko, comédienne serveuse exilée aux États-Unis, décide de retourner au Japon pour retrouver sa trace. Pour ça, elle compte sur l'aide de son ex amant, le détective poète Richard B, toute ressemblance avec un auteur américain n'est pas purement fortuite. Des destins qui se croisent, des vies parallèles, des gens qui s'éloignent, pour ne plus jamais se recroiser…

"Un rêve passe derrière ses paupières, au fond de ses yeux noirs, comme un reflet d'obscurité dans l'eau d'un puits."

Avec Les Evaporés, Thomas B. Reverdy nous livre un roman magnifique, étonnamment actuel, porté par une écriture sobre et pleine de poésie, nimbé de l'ombre bienveillante de Richard Brautigan. A la fois polar, histoire d'amour et état des lieux du Japon post-Fukushima, une vraie belle surprise comme je les aime.

Ces temps-ci, je dois bien reconnaitre qu'il m'arrive parfois d'avoir d'irrépressibles envies de m'évaporer…

Un très grand merci à Babelio et aux éditions Flammarion.

Lien : http://bouquins-de-poches-en..
Commenter  J’apprécie          702
Le « monde flottant » désigne au japon une catégorie de personnes : les exclus de la société, les marginaux, les prostituées, les drogués, les brigands, les paumés en tout genre et les personnes disparues, appelées aussi les évaporés.
Les évaporés ne font pas l'objet d'une enquête de police, car il n'y a pas de corps à rechercher et les proches ne l'ébruitent pas car cela jette le déshonneur sur la famille.

Un an après la catastrophe de Fukushima, Kaze, un homme japonais proche de la retraite, disparaît subitement. Pour sa femme, il s'est comme évaporé, dissous dans la nuit. le roman se passe un an après la catastrophe (tsunami et catastrophe nucléaire) et nous emmène dans ces territoires abandonnés et contaminés.
Sa fille, Yukiko, qui vit depuis de nombreuses années aux Etats-Unis, rentre au Japon accompagnée d'un ex-petit ami, Richard B. détective de surcroit, afin d'enquêter.
Richard B. croit aux miracles et laisse les choses venir à lui et se faire ou pas, se révéler seules aux yeux de ceux qui savent les voir.

L'écriture est profonde et poétique, empreinte de délicatesse et d'une sorte d'évanescence, à l'image des romans japonais, bien que l'auteur soit français.
On oscille entre une enquête mais menée tout doucement, sans créer de remous, de heurts, sans rien bouleverser, et un voyage aux confins de l'inconnu, dans un no man's land détruit, ravagé et dangereux mais où la menace est invisible et silencieuse.
Est-ce en acceptant de se perdre totalement qu'on peut espérer se retrouver ?
Un roman magistral et bouleversant.
Commenter  J’apprécie          544


critiques presse (3)
LaLibreBelgique
05 novembre 2013
D’une écriture délicate et ciselée, l’écrivain mêle enquête, mystère et poésie, en s’attachant à des personnages d’une humanité touchante.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Lhumanite
23 septembre 2013
Remarquablement construit, le roman de Thomas B. Reverdy tient à la fois de la fiction, de l’essai et du thriller et s’offre, de surcroît, le luxe d’incliner vers la poésie.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Telerama
22 août 2013
C'est un roman au charme mystérieux, où les images quasi documentaires butent sur l'indicible des destins humains, un roman entre chien et loup, rêve et réalité, où la poésie malgré tout finit par l'emporter.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (217) Voir plus Ajouter une citation
Fragments d’une vie de revenants sans retour

Il est rare dans un roman de rencontrer des personnages sans réelle existence. Les "évaporés" de Thomas B. Reverdy sont pourtant de cette trempe. Dans le Japon du lendemain de la catastrophe de Fukushima, l’auteur nous emporte sur les traces d’un "johatsu", ces hommes qui disparaissent de leur propre vie, laissant derrière eux famille, amis, dettes, honte, soucis… Avec le déshonneur que cette fuite sans retour possible jette sur sa famille, "l’évaporé" n’est plus évoqué, c’est comme s’il n’existait pas, et s’efface encore un peu plus dans l’absence et le vide.

La famille de Kazehiro ne s’y résout pourtant pas. L’incompréhension de sa fille face à cette évaporation soudaine l’entraîne à revenir au Japon, pays qu’elle avait quitté depuis des années pour tenter sa chance aux Etats-Unis. Elle emmène avec elle Richard B., un ancien amant américain à la fois détective et poète. Pour elle, c’est un retour au pays natal duquel elle se sent comme évaporée, déconnectée, absente. Le sentiment que ce n’est plus son pays et que celui-ci ne la considère plus comme une de ses habitantes est omniprésent en elle.

L’enquête, sur les traces de ce père presque jamais nommé, à peine évoqué et pourtant central, commence d’abord auprès de son épouse, devenue une revenante dans la maison familiale vidée des êtres qui y ont vécu. Autour d’elle, et dans le cercle de ses collègues, personne ne sait rien, aucune esquisse d’explication n’émerge. Richard B., plongé dans un monde dans lequel il est considéré comme un éternel "gaijin", au même titre que tous les étrangers vivant au Japon, n’avance pas dans son enquête, ne comprenant jamais complètement les concepts japonais, ni même la langue.

C’est donc seulement le roman qui a la possibilité de nous emporter sur les traces de cet évaporé. Thomas B. Reverdy, en s’emparant de ce matériau romanesque ignoré, tabou dans le monde japonais et qui en même temps se développe exponentiellement suite à la catastrophe de Fukushima et ses conséquences financières sur les populations japonaises, choisit de ne pas le restreindre à sa dimension fatale : il donne à notre johatsu la possibilité de lutter, de rechercher le sens de son évaporation et même de se réinventer. Si Kazehiro disparaît dès la première page, c’est uniquement pour laisser place à Kaze, un homme bafoué en recherche de compréhension et d’apaisement.

Un autre personnage, très attachant, apparaît presque par hasard à ses côtés. Il s’agit d’Akainu, un "survivant" de la catastrophe qui a fui la destruction pour préférer la rue de Tokyo malgré toutes les menaces qui y rôdent. Son histoire personnelle se dessine peu à peu, et l’émotion surgit à chaque fragment du présent ou du passé découvert. Le duo qu’il forme avec Kaze l’amène à retourner sur un passé douloureux qu’il a refoulé, lui préférant l’ignorance quant à la survivance ou non de tout ce qui lui était cher.

A travers le duo ainsi formé, le roman vient éclairer le monde des évaporés et des invisibles du Japon, des hommes réduits à la misère, au travail journalier sur la zone décimée de la catastrophe. Ils ne pourraient qu’attendre leur mort, voire la provoquer, mais l’histoire s’arrêterait et l’espoir disparaîtrait. Kaze est un exemple de renaissance au milieu d’un désespoir général.

A travers le jeu des points de vue et les nombreux personnages qui égayent ce texte, c’est ainsi un roman entre noirceur et lumière qui vient réveler un pays en crise, des hommes exploités, des vies détruites, la fin d’une période florissante et le début d’une autre sombre et incertaine, le règne d’une économie abusivement capitaliste, mais aussi l’espoir que l’on puisse se battre contre lui, au Japon comme ailleurs. Si l’évaporation menace tous nos personnages, la réapparition, jamais à l’identique et toujours partielle, est une possibilité qui vient éclairer le tableau d’un monde en détresse.

Sans grandiloquence ni moralisme, Thomas B. Reverdy offre ainsi un roman infiniment beau, à la fois sensible et poétique, qui nous emporte au coeur des êtres qu’il a inventé. Sous des apparences de roman policier où chacun est à la recherche d’un autre, le romancier nous montre des personnages qui se retrouvent eux-même après s’être profondément perdus. Un texte à découvrir aux éditions Flammarion.
Commenter  J’apprécie          70
Yukiko était japonaise et jolie. Lorsqu’elle n’était pas serveuse, elle était comédienne, ce qui était une sorte d’hyperbole de la dèche, parce qu’il y avait plus de comédiennes que de serveuses en Californie. Mais elle portait ce destin avec une superbe admirable. Vous ne pouviez la manquer dans la rue. Elle avait quelque chose, une sorte de vibration, un sillage quand elle marchait : il semblait que l’air tremblait autour d’elle comme s’il n’osait pas la toucher. Les chances qu’ils se rencontrent étaient très minces, celles qu’elle accepte de coucher avec lui véritablement minuscules, ce qui fait qu’il avait vécu leur histoire comme un miracle permanent.
Commenter  J’apprécie          350
- Akainu ?
- Oui.
- Tu n'as jamais pensé à rechercher tes parents ?
- ... "
Le garçon le regarde stupéfait. Ses yeux se sont emplis de larmes en une seconde, comme si elles attendaient derrière ses paupières, depuis dix mois, la moindre fissure, l'occasion
de s'enfuir. Ses larmes sont comme des prisonniers qui se parlent de se faire la belle tous les soirs lorsque la nuit tombe, qui rêvent, qui s'échauffent, qui sont prêts à mettre le pénitencier à feu et à sang dès qu'il se passera quelque chose, n'importe quoi, dès que les surveillants baisseront la garde, ne serait-ce qu'une seconde.
Quand elles s'échapperont, plus rien ne pourra les retenir.
Il lui semble qu'elles couleront alors telle une source, jusqu'à
sa mort. ça lui fait peur, parce qu'il n'a pas envie de pleurer jusqu'à sa mort à lui, qui peut être dans très longtemps. D'ailleurs, personne n'aime voir pleurer les enfants.
Alors il écrase ses poings sur ses yeux pour être bien sûr que ça tienne, une bonne digue, bien construite, une qui n'aurait pas laissé passer le tsunami et emporter sa vie, et il fait en détournant la tête un nouveau de la geste de la main vers le monde vague et sale qui s'étend entre eux et l'océan.
" Non."
Commenter  J’apprécie          170
Vous êtes à Kyoto. La ville serpente, elle s’étale – ses immeubles ne sont jamais très hauts – la ville se répand comme de l’eau qui aurait fini par remplir une vallée plus plate et plus grande que les autres, s’arrêtant de tous côtés aux pentes des montagnes. Des collines boisées la trouent tels des îlots. C’est un lac.
Il flotte dans l’air un parfum d’iris et de jasmin. Ce n’est pas normal en hiver.
On dirait une odeur de femme.
Vous marchez dans la brume scintillante du petit matin, dans un quartier de machiya en bois, petites maisons carrées dont l’étage avance légèrement sur la rue, au-dessus d’un jardin nain, sorte de vestibule constitué d’un camélia et de quelques fleurs en pots, devant l’entrée. Certaines habitations arborent des lanternes de papier qui s’éteignent une à une à la fin de la nuit. Des kakémonos de tissu blanc calligraphiés au nom du propriétaire de la boutique ou de l’auberge ondulent devant des portes à claire-voie qui ne s’ouvrent pas mais coulissent, s’effacent, ainsi que les parois de la maison et les fenêtres toujours closes, le shoji rond et jaune de la chambre où filtrent, au soir et à l’aurore, une lumière douce qui vient de l’intérieur, et des ombres japonaises.
Un peu plus loin vous apercevez un pont arqué sur un canal au lit de pierres à peine plus gros qu’un ruisseau, ondulant au milieu de deux allées d’arbres qui se penchent, allongent démesurément leurs branches du côté de l’eau comme des bras suppliants étirés à quelques dizaines de centimètres de leur but.
Ce sont les cerisiers qui penchent, les saules sur le pont ne font que pleurer.
Ce n’est pas vraiment une rue. Malgré les pavés qui la tapissent et luisent en reflétant la brume, on dirait un chemin qui court. Il s’enfonce entre les maisons vers un passé sans âge.
Il n’y a personne dans ce quartier à cette heure le long de ce canal, sous ces frondaisons, par ce froid, dans cette lumière grise étale, sur ces pavés luisant de brume, personne, il n’y a que vous et les fantômes de la capitale.
Les temps se brouillent et s’empilent. C’est peut-être la brume. Ou c’est peut-être les noms qui sont restés les mêmes depuis si longtemps. Héian n’est plus qu’un temple aujourd’hui. Ce fut, sous le nom de Héian-kyo, pendant mille ans, la capitale d’un empire qui se déchire. À l’ère Muromachi – aujourd’hui devenue une artère longeant la Kamo River –, les quartiers de Kamigyo et de Shimogyo qui se partagent encore la ville se dessinent, ce sont les quartiers des deux armées des daimyo qui s’affrontent, manœuvrant pour faire et défaire les shoguns. Samouraïs et paysans armés de lames courbes, d’arcs longs, déferlent dans les rues. Ils portent des armures légères articulées de couleurs vives, des sabres forgés à Bizen et des poignards sans garde passés dans leurs ceintures. Vous les voyez, leurs casques surmontés de croissants de lune, d’ailes ou de bois de cerf, semblables à des cornes. Ils passent en hurlant, grimaçant, la bouche ouverte tordue, les yeux ronds comme les statues des généraux célestes, sur leurs chevaux au triple galop, les pieds fermement campés dans leurs étriers en forme de socques de bois recourbés, ils se dressent, l’épaule gauche penchée sur la crinière qu’ils tiennent d’une main fermée sur des rênes courtes en tissu, l’autre bras tendu à l’horizontale portant sabre au clair, dont le fourreau laqué fait une sorte de flèche à leurs ceintures, dans leurs dos. À cette vitesse ils pourraient décoller des têtes sans même s’en apercevoir, passant au travers comme de la brume.
Pourtant vous n’avez pas peur, ce ne sont que des spectres.
Commenter  J’apprécie          50
Tout l’avait émerveillé chez elle, tout, son corps et sa voix, son accent, la blancheur de sa peau, ses très longs cheveux, sa manière souple et lente de marcher, ses gestes comptés, ses yeux d’ombre, ses yeux d’un minuit sans étoile – il y avait plein d’obscurité nocturne et de mystère dans ses yeux – son silence aussi, sa façon de l’observer sans parler quand ils étaient ensemble, ne le quittant pas du regard en buvant son thé, assise en tailleur sur le lit, ses cheveux autour d’elle, le sexe tel un animal dormant entre ses jambes, rêvant peut-être. P 26
Commenter  J’apprécie          230

Videos de Thomas B. Reverdy (32) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Thomas B. Reverdy
Thomas B. Reverdy, professeur de lettres et écrivain présente son dernier ouvrage, le grand secours paru chez Flammarion. Il a reçu le prix Landerneau des lecteurs 2023 pour ce titre.
Pau, le Parvis, 17 janvier 2024.
autres livres classés : fukushimaVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (1275) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (2 - littérature francophone )

Françoise Sagan : "Le miroir ***"

brisé
fendu
égaré
perdu

20 questions
3661 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , littérature française , littérature francophoneCréer un quiz sur ce livre

{* *}