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Critique de 4bis


Il pleut sur le jardin. Une pluie fine, pénétrante, presque invisible si ce n'était le sol qui rayonne, gorgé de ses oeuvres, les ruissellements glougloutant dès que la pente y suffit.

Il pleut sur le jardin. le violoncelle de Rostropovitch pour les notes de Bach, la flamme d'une bougie et la chaleur d'un thé de bergamote : habiller cette journée de chaleur et de joie à l'intérieur même de la fructueuse pluie.

Parcourir des yeux et puis des mains les rayons de ma bibliothèque. Nous discutions ici de ce à quoi servaient ces centaines de livres dont les dos nous regardent et nous accompagnent jusqu'à notre dernier repaire. Eh bien, voilà un usage que nous avions omis : par une journée de pluie, retrouver un de ces amis et laisser le temps s'écouler dans ses vers.

Vergers. Une oeuvre que Philippe Jaccottet, qui la préface, avoue marginale comparée aux Elégies. Un recueil que Rilke a composé en français à la fin de sa vie, aux prétentions modestes qui me vont bien mieux que toute emphase. Des poèmes toujours courts, un regard ordinaire sur des choses ordinaires : la lampe de bureau, « un simple verre de tous les jours », des fleurs à qui l'on fait des confidences, un lit bien robuste à supporter tant d'humeurs, la paume d'une main pleine « de ces lignes et de ces rides / que l'on entretient / en fermant sur le vide / cette main de rien ». Et dehors, dans un verger blond plein de la dentelle des branches qui donne son nom au recueil, dans la lumière changeante des saisons quelques « dieux hors d'usage » dont la seule occupation n'est plus que « d'arrondi[r] les fruits » afin que l'on s'en délecte dans une chaude après-midi.

Petit monde humble et léger fait d'impressions ludiques et d'une forme d'espièglerie enfantine. Mais la douleur jamais loin, seulement somnolente. le risque d'un immobile « d'où l'avenir est absent ; où il faut être inutilement fort/ et triste, inutilement. »

Baste ! Laissons là le péril de « notre instant insigne / avant qu'une vague maligne / nous renverse et pousse à bout. ». Amusons-nous plutôt de ce que seraient les cimes des arbres « vues des Anges » : des racines peut-être quand « les profondes racines d'un hêtre leur semblent des faîtes silencieux. » ? Allons à la rencontre du printemps naissant. Ce serait facile et mièvre peut-être si sa sève n'était pas capable de tuer « les vieux et ceux qui hésitent », « tous ceux qui n'ont plus la force de se sentir des ailes ». « Mais quand la terre remue / sous la bêche du printemps, / la mort court dans les rues / et salue les passants. »

A la recherche de mots à mettre sur mon humeur, sur ces impressions printanières qui sont faites de jaillissements, d'humide et de forces érigées, bourgeons boursouflés, lumière toujours un peu plus haute, un peu plus claire que la veille, je feuillette : « Ombres des feuilles frêles, / sur le chemin et le pré, / geste soudain familier / qui nous adopte et nous mêle / à la trop neuve clarté. » M'y voilà, à mon tour fondue dans cette atmosphère, généreusement lovée dans ce « nous » adopté.

Et puis d'autres « chemins qui souvent n'ont / devant eux rien d'autre en face / que le pur espace / et la saison. » Dissolution d'un « je » qui laisse au monde le soin d'être lyrique pour lui, absorption de soi dans une direction abstraite à force d'épure. J'y suis enfin !

Plus tard, les jours en gagnant, imaginer bientôt le « Chemin qui tourne et joue / le long de la vigne penchée, / tel qu'un ruban que l'on noue / autour d'un chapeau d'été. » C'est plus facile, aimable et ravissant et cela a des airs de compliment que l'on trousserait après un repas bien arrosé à l'ombre de cerisiers.

Les pages comme le temps filent, la clématite et le liseron s'unissent « en dehors de la haie embrouillée » « Cela forme le long du chemin / des bosquets où des baies rougissent. Déjà ? Est-ce que l'été est plein ? »

Ah non, pas tout de suite ! Je vais trop vite, grisée par les perspectives à venir, le « silence plein / d'inexprimable audace ». Revenons un temps à un rythme plus lent pour goûter encore les délices de ces Vergers :

Dans la multiple rencontre
faisons à tout sa part,
afin que l'ordre se montre
parmi les propos du hasard.

Tout autour veut qu'on l'écoute - ,
écoutons jusqu'au bout ;
car le verger et la route
c'est toujours nous !
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