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Critique de ninachevalier



Un titre frontal, disruptif. Une couverture qui intrigue avec ces quatre dessins qui représentent le loup. D'ailleurs la page en exergue est aussi centrée sur les loups.

N'est-il pas étrange d'associer la naissance du protagoniste principal, Gérard, avec le loup qui entra dans la légende le 12 janvier 1954 ?
Mais ne dit-on pas : L'homme est un loup pour l'homme ? La narratrice, Lou, sa fille ne va cesser d'en faire le constat dès son plus jeune âge.
Celle-ci brosse le portrait du baby boomer qu'elle appelle Gérard, et non «  mon père », façon de prendre de la distance avec ce personnage très complexe, aux nombreux secrets à élucider. Un homme autoritaire, à la voix terrifiante parfois.
le lecteur sent très tôt l'emprise, la domination qu'il a sur sa fille. Admirative, amoureuse de son géniteur au point de vouloir se marier avec lui. L'amour est d'autant plus aveugle à cet âge. Pourquoi la laisse-t-il penser (à 5 ans) que cette union sera possible quand elle aura atteint l'âge légal ? Pourquoi lui fait-il une telle promesse ?! «  Seuls les adultes consentants peuvent s'épouser ».

Gérard, ex-militaire, flic de profession, possède des armes, ce qui impressionne sa fille Lou. Il est nimbé de mystère, passant des nuits dans son bureau ovale jaune. Pièce appelée ainsi car au centre trônait « une grande table en forme d'oeuf ». Lieu où son père travaillait, se ressourçait, mais où Lou ira fureter, transgressant l'interdit, ouvrant les tiroirs,ce qui ne pouvait que déclencher la furie de Gérard.
Pourquoi ce nom de code « Bruno » ? Aurait-il une double vie ?

Lou se remémore son enfance, son entrée en sixième, son amitié avec Jade, Victor, prenant conscience que Gérard préférait qu'elle ne fréquente pas ses camarades de classe ! Elle confie qu'« il voulait rester maître de son royaume, que son esprit lui appartienne ». Difficile de comprendre pourquoi il lui refuse de jouer avec les billes
découvertes au grenier pour lui donner la permission une semaine plus tard.
Il l'éduque à la dure, lui conseille d'apprendre à se battre pour être à la hauteur de son nom Meynier qui signifie « robuste guerrier », lui apprend à nager à deux ans. Dès ses 5 ans elle s'aguerrit, son père lui ayant inculqué la devise du mousse : «  Sois toujours vaillant et loyal » et « la sensation du couteau ». Adulte, elle définit Gérard comme « un monstre à deux têtes » qui « affabule, invente, ment », un moustachu «  psychopathe amusant », « un sorcier de l'univers » et « un ivrogne occasionnel ».
Elle souligne «  son sourire carnassier », son « rire bruyant », sa face obscure.Comment une enfant peut-elle se construire quand la menace est permanente ? Il lui faudra vaincre sa peur quand elle doit traverser un pont en pleine tempête !
Peu à peu le voile se lève sur le passé du patriarche au sujet du drame du naufrage , (ce qui explique qu'il vivait dans un huis clos de disparus) et de l'accident tragique impliquant Pluie, ce cheval qui les accompagnait lors de randonnées en forêt.

La figure maternelle, Annie Mercier, est une présence discrète, elle aussi subit les menaces de son époux. Quand celui-ci rentre alcoolisé, agressif, il sème la terreur. Il hurle, il beugle, il gueule contre les connards qui salope la mer, la plage. Quel contraste entre les mots affectueux que le père emploie à l'adresse de sa fille : «  moussaillon », « Loupiote », et la violence de ses gestes (Ne l'a-t-il projetée d'un coup de pied en bas d'un escalier ?) et certaines de ses paroles ( injures). L'épouse est traitée de connasse, de « vioque ». Pas de smartphone à l'époque, la mère consignait tout sur un post-it.

L'écriture de l'écrivaine est très visuelle, d'une précision inouïe , on croit voir les scènes se dérouler sous nos yeux. Par exemple quand elle revisite les moments de bonheur partagés avec le père, leur « lien de la mer » ( «  les souvenirs bleus »), le jeu de la barbichette, les tours de magie, leurs partages de mondes imaginaires ou quand elle évoque leurs marches, les paysages traversés, empruntant « des routes jouxtant le jaune des champs d'orge et de colza, le vert du maïs, des blés, le bleu des pavots…. », «  des départementales bucoliques ».
Ou tout simplement quand elle s'achète une gaufre liégoise, «  ornée de perles de sucre ».

Blandine Rinkel a le don de happer son lecteur par les accroches de certains chapitres, comme «  il y eut un épisode terrible ».
La maltraitance animale évoquée révulsera tous ceux qui luttent contre ce fléau.
La romancière reconnaît qu'adolescente, elle aussi s'est montrée « infecte »
envers Ardent, ce chien attachant que son « bourreau de père » a failli défenestré. Et elle fustige « l'injustice de sa cruauté », de sa méchanceté causée par mimétisme.
Elle sait attiser notre empathie pour ces bêtes sans défense, tel ce cheval qu'il a abandonné dans le fossé où il avait chuté. Au contraire Lou, devenue végétarienne, montre son attachement aux chevaux et rejette la consommation de viande chevaline. Nourriture que son père lui a imposée dans son enfance. Pour elle : « La magie des chevaux ne réside pas dans leur viande, mais dans leurs mouvements. Dans leur crinière et dans leurs muscles. Dans la manière qu'ils ont d'être libres quand ils courent ».

Au cours du récit, Lou s'interroge sur la misogynie de Gérard d'autant qu'il disait «  aimer les femmes, les vraies », les femmes guerrières , pourtant dans ses notes autobiographiques, on lit les déclarations suivantes : « les femmes sont des couteaux » ou «  se méfier des femmes ». Aurait-il été attiré par ces « femmes féroces, indifférentes, hermétiques à la séduction », ces femmes écrivaines en lutte comme Virginie Despentes, Constance Debré à qui Lou rend hommage ?

A la fin de la lecture de la première partie, le lecteur est comme abasourdi tant la violence s'est intensifiée. A 18 ans, la narratrice, quitte sa Vendée aimée pour rejoindre à Londres une compagnie de danse. « La danse, une technique de survie » pour Lou, un exutoire, qu'elle pratique d'une façon militaire, «  un sport exigeant une autodiscipline ». Elle développe une longue réflexion sur la danse : «  la danse comme stratégie animale pour esquiver les corps prédateurs ». Cette décision convoque une pensée de Colette : «  Il n'y a de réel que la danse, la lumière, la liberté, la musique ». Rappelons que l'écrivaine chanteuse pratique elle-même la danse au sein du collectif Catastrophe.
Liberté qui se traduit pour Lou sur le plan sexuel ( jeu du foulard) jusqu'à ce qu'elle tombe amoureuse de Raphaël, qui rallume sa féminité, alors qu'elle avait éduquée, en soldat, comme un petit monstre de virilité », quand elle était sous la coupe du paternel. Un père peuplé de blessures, « de cicatrices et de deuil ».
Un épisode déstabilisant la marque : «  la tache » au plafond de son logement londonien. Laissons le mystère.

Un mot interpelle dans la dernière partie, celui de « meute », qui renvoie à l'illustration de la couverture. La famille est considérée comme « une horde de cohortes », les voitures sont vues comme une meute. « Meute », le nom de la compagnie de danse qu'elle formera. Et le prénom Lou, qui résonne comme loup !
On quitte le jeune couple se préparant à un réveillon forestier avec les animaux. Ils se tiennent à l'affût, sachant ( comme Sylvain Tesson) qu'il leur faudra de la patience, cette «  vertu suprême » et rester silencieux pour espérer entrevoir une meute ou un loup solitaire. Et fantasmer de «  danser avec les loups » ! La boucle est bouclée.


L'originalité de ce roman réside dans sa composition hybride, mêlant le récit de Lou, les notes autobiographiques du père qui révèlent une autre facette de cet ogre » et au final la bouleversante lettre confession de Lou qui montre la complexité de leurs liens. Et combien il l'a vampirisée. Une lettre qui dévoile sa réponse quant à un éventuel don de rein pour ce père condamné.
Un récit émaillé de citations, d'expressions en italiques, dont certaines en anglais ( « delay », «  fake news », «  larger than life »…) et de comparaisons. ( «  la vague immense se ruait sur nous comme un cheval piqué par une abeille »).


Blandine Rinkel signe un roman puissant, dense, scandé par le mot « violence » dont a hérité la narratrice Lou », et hanté par les spectres des fantômes. Un récit impressionnant, parfois glaçant qui laisse une durable empreinte chez le lecteur.


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