À l'heure où tout s'accélère, où les canaux de diffusion de l'information se multiplient, et où beaucoup de citoyens, notamment les jeunes, boudent les médias traditionnels, la presse doit-elle réinventer sa manière de raconter le monde ?
C'est la question que nous avons posée à notre invité : le journaliste et écrivain Éric Fottorino.
Il a notamment travaillé 25 ans au quotidien le Monde, qu'il a dirigé de 2007 à 2011.
Il a ensuite cofondé l'hebdomadaire le 1, avant de créer les trimestriels America, Zadig et Légende.
Bibliographie :
- le 1, numéro de septembre 2022 (éd. Philippe Rey)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/20391342-ukraine-premiere-guerre-mondialisee-michel-goya-edgar-morin-daniel-cohen-nicole--philippe-rey
- Rochelle, d'Éric Fottorino (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/14405-rochelle-eric-fottorino-folio
- Caresse de rouge, d'Éric Fottorino (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/127819-caresse-de-rouge-eric-fottorino-folio
- Korsakov, d'Éric Fottorino (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/31063-korsakov-eric-fottorino-folio
- Baisers de cinéma, d'Éric Fottorino (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/599670-baisers-de-cinema-eric-fottorino-folio
- L'homme qui m'aimait tout bas, d'Éric Fottorino (éd. Folio)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/1251036-l-homme-qui-m-aimait-tout-bas-eric-fottorino-folio
- Mohican, d'Éric Fottorino (éd. Gallimard)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18955673-mohican-roman-eric-fottorino-gallimard
- Vers la violence, de Blandine Rinkel (éd. Fayard)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/21199677-vers-la-violence-blandine-rinkel-fayard
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La mise en branle de l'imposture, c'est une tache indélébile qu'on étale de plus belle en espérant la résorber. Et l'imposteur ajoute, en permanence, de l'eau au moulin de son propre naufrage.
Le retard culturel est un ogre, jamais rassasié, l'un de ces sacs sans fond qui se révèlent plus vides à mesure qu'on les remplit.
Tôt dans l'enfance, tu avais découvert cette règle jamais démentie depuis et s'appliquant aussi à toi : les gens préfèrent mentir plutôt qu'avouer qu'ils ne savent pas.
Bientôt, vous vous fréquentez quotidiennement, sans avoir pour cela besoin de prétexte. Peut-être reconnaît-on une relation qui prend à ce que ses membres , pour se voir, ont de moins en moins besoin de motifs. Arrive le moment où vous n'en avez plus.
Mentir était un plaisir. Vos déviances, une amitié.
Les quelques parents endeuillés que j'ai connu ou écouté parler, le disent tous. C'est le silence de leurs proches qui, après le décès de leurs enfants, les a le plus marqués. Personne n’osait poser des questions sur cette mort, rebondir, rétorquer.
La mise en branle de l’imposture, c’est une tache indélébile qu’on étale de plus belle en espérant la résorber. Et l’imposteur ajoute, en permanence, de l’eau au moulin de son propre naufrage.
Les dessous de Paris te fascinaient et n’importe quand, avec ou sans prétexte, tu y plongeais. C’était comme tâter le pouls du paysage : sous la surface, les corps se heurtaient, les souffles se croisaient et tu pouvais sentir le battement, nerveux, de cette ville au bord de la tachycardie.
Mélanges de pisse, de vomi et de renfermé, les effluves t’étonnaient quand tu atteignais le 22e étage où tu avais cours. Ils te prenaient à la gorge, t’imposaient le silence. D’autant plus que Paris I avait bonne réputation – classée dans le top 100 des universités les plus réputées au monde, elle rendait fiers les parents. Le gouffre entre l’aura de l’institution et son délabrement effectif t’épatait. Confusion dont tu tirais avantage, sans chercher à rétablir la vérité.

Un matin on se réveille, et l’on est fatigué de soi-même.
On a plus envie de revêtir, ce jour-là, le visage qu’on portait la veille. On aimerait tout recommencer, alors on commence quelque chose. En sous-vêtements, l’haleine ridée, sans avoir bu ni mangé, on se saisit de son téléphone et on compose le numéro d’une mairie lointaine et qui pourtant est la nôtre.
À l’adresse d’une oreille étrangère, qui ne connaît rien de notre histoire et du rôle clé qu’elle y joue, on confie pour la première fois le soupir d’être soi. La pudeur administrative nous aide à formuler les choses. On aimerait changer de prénom. La décision est prise. On est prêt à effectuer des démarches, à s’abandonner à toutes les recommandations. En écoutant ces dernières on hoche la tête, pour personne, on ronronne, pour soi-même, et on prend des notes, inutiles, des notes qu’on ne relira jamais. On affirme qu’on apportera bientôt de nouveaux papiers, des justifications, on remercie la voix pour qui renverser l’ordre des choses semble être un jeu d’enfants. On salue. On raccroche. Pas encore tout à fait certain d’être celui ou celle qui accomplit les gestes, on se lève. Quelqu’un, peut-être soi, ouvre le répertoire de son portable et, sans en éprouver aucune émotion, y modifie son propre prénom. On commence par là. Puis on va se doucher.
Comment nos vies parallèles infléchissent-elles la principale ? Comment la déforment-elles subtilement – pareilles à ces batteries de smartphones usées auxquelles il arrive, gonflant dans l’obscurité, de finir par soulever l’écran de la machine ?
Sans doute y a-t-il des parts de nous soumises à d’autres lois de la gravité, d’une autre gravité, lois tordues et inconscientes dont nous ne connaissons rien mais sentons la puissance par à-coups – des accords de piano plaqués dans le vide –, et nous éprouvons parfois, en nous-même, la trace d’une intensité qui, si nous la prenions au sérieux, pourrait modifier durablement nos vies. Puis, généralement, nous oublions.
Mais tout le monde n’oublie pas. Et chacun des gestes d’Elia, chacune de ses intonations, étaient en ce sens comme les indices d’un système moral alternatif qu’on devinait cohérent et tenu, mais auquel personne ne pouvait tout à fait accéder.
Batterie secrète qui la faisait enfler.