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Critique de Erik35


NOSTALGIE DE L'ALEXANDRIN.

Le lecteur cherchant ici une poésie "à la pointe" de la modernité poétique en sera certainement pour ses frais. Jean Ristat a trop l'amour de la versification classique, de son cher Aragon - qu'on ne peut s'empêcher d'entendre à plusieurs reprises - des formes anciennes et bientôt oubliées, n'était sa patience sourde à nous les remémorer, des "Tombeaux", "Éloges funèbres" et autres "Déplorations".

L'éloge funèbre - hommage ? - de Monsieur Martinoty nous plonge dans un monde baroque, celui du théâtre (ce metteur en scène disparu en 2016 était un fidèle re-créateur d'opéras de cette époque), celui du siècle de Louis XIV, un monde d'acteurs, de faussaires volontaires, revendiqués reconnus comme tels, de paris sans cesse renouvelés sur le temps, sur les modes, sur la vie, mais sans doute dans sa phase la plus finale :

«Le voici donc l'homme que la gloire un instant
Caressa de son aile volage au jour
D'hui rendu à la terre où grouille la vermine (...)»

Si le théâtre derrière l'existence semble être la thématique majeure de ce premier moment, c'est encore à un théâtre d'ombre, plus intime et personnel, que Jean Ristat nous convie dans "Le pays des ombres", semblant regretter d'être Hic et Nunc, dans cette contemporanéité malheureuse qu'il décrit ainsi :

«Je suis né au pli du crime Ô la puanteur
Des corps démembrés et sans visage au feu
Du ciel indifférent le bruit bleuté des bombes

Les griffes de la lumière sur la peau»

Dans un monde où, nous explique-t-il, «on a enterré la parole partout». C'est encore le temps de la déploration, des gémissements sans réels pleurs ni angoisse mais qu'une grande vague de nostalgie emporte à chaque vers - toujours ces alexandrins tords et dé-composés, permettant ici et là des doubles, des triples sens qu'une versification plus sage et respectueuse ne permettrait pas :

«(...)
Comme on voit aux jeux de cartes les figures cul
Butées y a-t-il donc maldonne »

Mais qu'on ne s'y trompe pas : le poète ne s'adonne en rien à quelque tentative risible de jeu de mot sans envergure, non ! car l'essentiel est d'amener le lecteur à entendre que rien n'est jamais si solide qu'on le croit, que ce qui semble entamé ici s'achève plus loin, mais s'achève toujours, que rien n'est stable malgré la volonté formelle. Est-ce ce monde où le poète parait se sentir si mal à son aise, si peu "en phase", qui en est cause ?

"Détricoter la nuit" qui achève ce recueil plus spleenétique qu'il y parait de prime abord - les références aux grands siècles baroques cachent à l'oeil distrait ce fond subtil d'un romantisme grisâtre et enrobant - est une proposition de lecture des Tableaux d'une exposition du russe Modest Moussorgski. Si le mélancolique s'y trouve toujours présent, la verve poétique, une certaine fraîcheur que renouvelle la visite et le parcours musical qui, suppose-t-on, accompagnent l'écriture, apporte son lot d'images d'une resplendissante spontanéité un instant retrouvée :

«un jour un jour me
Disais-je j'irai jusqu'à la mer où les
Grands fleuves s'abouchent au ciel avec les oiseaux
Rieurs
(...)»

Faussement classique, la poésie de Jean Ristat semble vouloir éviter ce monde-ci qu'il fuit depuis toujours, mais que rattrape parfois une mise en mot plus vive et brève qu'il faudrait pour y échapper tout à fait. "Ô vous qui dormez dans les étoiles enchaînés" laisse un léger goût de sel et de larmes sèches dans la gorge de qui découvre ce temps suspendu, au seuil de abattement, jusqu'à la suivante imperturbable seconde, assurant sans fin sa propre soif de tristesse. Inexorable.

Pour mémoire, Jean-Louis Martinoty était un metteur en scène et écrivain français, né le 20 janvier 1946 à Étampes et mort le 27 janvier 2016 à Neuilly-sur-Seine. Remarqué pour ses mises en scène d'opéras baroques à partir des années 19802, il fut également administrateur général de l'Opéra de Paris de 1986 à 1989. [Source : Poezibao]
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